Portrait d'un créateur de jeux vidéo, Alain Puget
Aujourd'hui nous partons à la découverte d'un créateur de jeux, gérant d'un petit studio indépendant à Nantes. Il nous parlera notamment de ses méthodes de création basées sur l'itération et l'analyse, de ce que son cursus scientifique lui a apporté et de ce qui les rassemble, lui et sa petite équipe. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !
Creajol : Qui es tu ?
Bonjour, je m’appelle Alain, j’ai 38 ans et je suis le gérant d’un petit studio de jeu indépendant français.
Creajol : En quoi consiste ton métier ?
Mon métier c’est tour à tour, patron d’une petite PME qui cherche avant tout à assurer un avenir professionnel stable à sa petite équipe de 4 personnes… puis directeur artistique, game designer et développeur. A peu près dans cet ordre de priorité dans mon planning un peu chargé. Accessoirement, je donne des cours de game design et d’utilisation de Unity dans différentes écoles. L’enseignement ou plutôt la transmission du savoir est un truc qui m’intéresse depuis longtemps et ça permet de faire des rencontres intéressantes.
Creajol : Comment est ce que tu crées ?
Lentement, par itérations, avec pas mal d’essais infructueux que ce soit pour le graphisme ou le game design.
Je ne suis pas un artiste de génie, loin de là même. Je suis plutôt du genre besogneux qui finira par arriver à un truc correct parce que j’y passe beaucoup de temps et que j’arrive à prendre du recul sur mon travail pour le juger suffisamment sévèrement.
Pour le game design en général, je suis au début guidé par l’envie. L’envie de faire un jeu qui me plairait en tant que joueur. Et puis passée cette première phase “à l’instinct”, j’essaie de tout rationaliser pour comprendre ce qui fait que ça me plait plus ou moins, ce qui risquerait de me plaire mais pas aux autres, etc… Parfois je regrette d’avoir à en arriver là mais je ne sais pas comment faire autrement. A force de tout décomposer, les jeux sur lesquels je travaille m’amusent de moins en moins avec les mois qui passent. Ce qui se passe pour moi est très proche de cette citation que j’aime beaucoup sur l’humour : “Analyser l’humour, c’est comme disséquer une grenouille. Il y en a que ça intéresse et les grenouilles en meurent”. Je pense qu’on peut complètement transposer ça avec l’étude et l’analyse du jeu. Je le fais professionnellement, mais j’évite d’analyser trop les jeux auxquels je jouent en tant que joueur…
Creajol : Ton travail et tes compétences évoluent avec le temps ?
Indéniablement : il y a 12 ans quand je me suis lancé dans l’informatique, j’étais armé d’un diplôme de pharmacien et d’un doctorat en chimie organique. J’étais juste infographiste amateur et j’ai passé les premières années à apprendre mon métier sur le tas, dans une boite que j’ai créée avec des potes. On avait la tête pleine de rêves, mais concrètement on ne valait pas grand chose…
J’ai commencé par devenir graphiste 2D/3D puis directeur artistique à la tête d’une petite équipe de 3 personnes. Au bout de 4 ans, je me suis progressivement mis au développement. D’abord, des trucs très basiques en Flash et puis de la programmation objet de plus en plus évoluée sur différents langages. Aujourd’hui, je ne suis pas un développeur de haute volée mais je suis capable de coder un jeu simple de A à Z ou de discuter architecture sur un gros projet avec mon lead dev.
Creajol : Pourquoi avoir changé de voie ?
Un coup de tête... l'envie d'essayer de faire du jeu avec mes potes de l'époque. En plus ça cadrait avec la possibilité dans ma vie perso de rester sur Nantes, ce qui était impossible avec la voie scientifique.
Creajol : Est ce que tes connaissances ou méthodes apprises dans ce domaine t'ont servi ?
Notre premier jeu a un scénario de thriller scientifique que j'ai écrit. C'est un peu délirant, c'est de la SF, mais ma culture scientifique m'a permis d'écrire un truc qui je pense est cohérent. Et sinon oui ma thèse m'a appris à planifier un travail de longue haleine. Quand tu commences une thèse tu sais que c'est pour 3 ans. Il faut s'organiser. Pour diriger une boite et cadrer un jeu, c'est pareil.
Creajol : Tu travailles beaucoup ?
Oui et non. Je fais de grosses journées mais loin de moi la prétention de compter chaque heure passée au bureau comme une heure de travail réel. Je prends peu de vacances mais je préfère travailler de façon détendue en ne nous interdisant pas des moments de détentes autour de la dernière crétinerie diffusée sur les internets.
L’autre truc important chez nous, c’est qu’il est hors de question qu’on fasse du crunch sur la prod de notre jeu. Comme nous autofinançons nos productions en faisant de la presta, je préfère qu’on passe 6 mois de plus sur la prod que de se faire mal à bosser soirs et week-ends. Flinguer sa vie perso pour finir avec un jeu qui ne se vendra peut être pas du tout, très peu pour moi !
Creajol : Qu'apportes-tu à tes collègues ?
Ce que j’espère avant tout, c’est leur apporter du travail qui les intéresse, dans une ambiance sympa et dans une entreprise stable économiquement. Mes 3 collègues sont tous multi-casquettes comme moi et ils me surpassent tous dans au moins un domaine. Les capacités organisationnelles que j’ai développé notamment pendant ma thèse et pendant la douzaine d’années où j’ai managé de petites équipes sont j’espère ce que j’ai de mieux à leur offrir. Faire en sorte de fixer un cap cohérent, suffisamment clair pour que tout le monde tire dans la même direction et sans inquiétude majeure sur l’avenir.
Creajol : Qu'est ce que tu attends de tes collègues ?
Mes collègues sont tous des amis de plus ou moins longue date. Je savais à quoi à m’attendre en travaillant avec eux. Ils sont bons dans leur taf, ils sont cools, drôles et faciles à vivre. Je pense que l’un de nos points communs à tous, dont je ne m’imagine pas pouvoir me passer, c’est cette capacité à apprendre de nouvelles techniques ou de nouveaux outils très régulièrement.
Creajol : Faire un jeu vidéo, c'est s'amuser toute la journée ?
Aïe aïe non ! C’est un cliché qui me fait toujours grincer des dents. Qu’il soit utilisé par des DRH de gros studios pour justifier un salaire de misère ou bien par des joueurs haineux sur des forums, je me retiens toujours de hurler que c’est d’une bétise indicible. Faire des jeux vidéos, c’est un métier. Un métier passionnant, un métier parfois amusant, mais c’est aussi terriblement exigeant, parfois répétitif ou même rébarbatif dans les tâches à accomplir, parfois douloureux dans les compromis nécessaires quand on passe du rêve à la réalité. Faire un jeu, attention je parle d’un jeu commercial que des gens seraient prêt à payer et dont on peut vivre, c’est souvent un travail de plusieurs mois. Plusieurs mois, c’est largement suffisant pour se lasser d’une idée qui paraissait tellement géniale au départ. Parce que passer plusieurs mois “à faire sortir une idée du sol”, c’est beaucoup moins fun que de passer quelques heures à y réfléchir.
Creajol : Tu joues ? Qu'est ce que ça t'apporte ?
Oh là oui ! Les jeux AAA me font vivre quelques belles histoires d’une façon différente d’un livre. Les jeux indépendants débloquent parfois quelques verrous de créativité en prouvant qu’un concept était bien possible à implémenter. Starcraft2 m’apporte ma dose d’adrénaline quasi quotidienne...
Creajol : Ton jeu préféré, jeu le plus joué, et sa recette miracle ?
Pour les jeux récents, Warcraft3 en multi (le solo était une pure honte). Un chef d’oeuvre d’équilibrage pour un jeu de stratégie malgré une multiplicté hallucinantes de combinaisons possibles.
Pour les jeux plus anciens, Maupiti Island (cocorico, un jeu français !). Le seul point & click qui n’en est pas vraiment un. Son secret, je le cherche encore… Peut-être le seul jeu vidéo à avoir été écrit par un auteur venant du théatre ?
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