Portrait d'un rédacteur en chef dans les jeux vidéo, Baptiste Peyron

Baptiste Peyron, rédacteur en chef adjoint et chef de rubrique jeux vidéo, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !

" On se fiche de savoir si le jeu est plus beau que son aîné, si la carte est trois fois plus grande que celle de l'épisode précédent. Connaître les intentions, les ressentis de ceux qui créent les jeux, voilà qui me semble autrement plus pertinent. "

Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !

C'est moi qui vous remercie, c'était demandé si gentiment.



Creajol : Qui es-tu ?

Je m'appelle Baptiste Peyron, rédacteur en chef adjoint et chef de rubrique jeux vidéo d'un magazine culturel en ligne.



Creajol : En quoi consiste ton métier ?

Faire en sorte que la ligne du magazine soit appliquée, encadrer la rédaction, dégager des tendances originales dans mes domaines de prédilection, distribuer des sujets aux auteurs, éditer les papiers qu'on publie, en assurer le suivi et la promotion. En résumé, faire en sorte que ça tourne au mieux. Pour ce qui concerne le jeu vidéo stricto sensu, j'ai envie que nos papiers racontent de belles histoires. Il y a un ou des hommes derrière chaque jeu auquel on joue, et bien souvent, les peines et les joies qu'ils ont ressenties au cours du processus créatif se révèlent au moins aussi intéressantes que le produit fini.



Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?

Clairement. Quand je me concentre pour retrouver les plus vieux souvenirs de ma vie, il y a des jeux vidéo qui resurgissent. The Adventure of Link, Faxanadu... C'est un acquis, une part de moi dont je ne pourrai jamais me désolidariser. J'ai dû naître raccordé avec une manette NES, je ne vois pas d'autre explication.



Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?

Le processus est en cours, ça rejoint un peu ce que je disais juste au-dessus. Si notre média pouvait devenir une référence en matière de belles histoires de jeux vidéo, avec de l'humain, tout cette belle humanité tapie derrière les polygones et les pixels, alors je pourrais presque parler de plénitude.



Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?

Je leur dirais de foncer, parce que c'est un monde foisonnant. Il y a beaucoup de matière grise en ébullition. Mais c'est aussi  un monde doté d'un côté obscur terrifiant : le rouleau compresseur du marketing, comme dans bien d'autres industries culturelles, fausse le game.

Beaucoup d'éditeurs préfèrent capitaliser sur des franchises antédiluviennes plutôt que de proposer un concept innovant. Je ne souhaite pas que les jeux ne s'accompagnent pas de suites, mais bon, il ne faut pas que cela vire au systématisme. Le jeu vidéo aura franchi un grand cap le jour où il cessera de se conformer aux attentes du public. J'attends des créateurs de jeux qu'ils me surprennent, m'amènent dans des sentiers dont je ne soupçonnais pas l'existence. Ce que font plutôt très bien les studios indépendants. C'est une tendance

Concernant le traitement journalistique, je leur dirais de ne pas chercher à faire comme les autres. Là aussi il faut innover, ne pas se contenter d'épouser le planning des sorties de jeux. J'apprécie de lire des bons tests, mais plus ça va, et plus je jette mon dévolu sur des traitements, disons, plus transversaux. On se fiche de savoir si le jeu est plus beau que son aîné, si la carte est trois fois plus grande que celle de l'épisode précédent. Connaître les intentions, les ressentis de ceux qui créent les jeux, voilà qui me semble autrement plus pertinent.



Creajol : Qu'est ce qui t'inspire ?

Les émotions ressenties quand je m'essaye à un jeu vidéo. Je ris, je pleure, je souris. Alors je pense à tous ces gens derrière l’œuvre, à leur volonté d'offrir de la beauté aux joueurs. Je suis époustouflé par les élans des communautés qui gravitent autour : les e-sportifs, les speedrunneurs, les musiciens, les bidouilleurs, tous ces gens qui s'abandonnent par amour pour leur média.



Creajol : Comment es-tu entré dans le jeu vidéo ?

À l'ancienne. Je bossais pour un groupe télévisuel, et, un beau jour, j'ai envoyé un CV et une lettre de motivation aux RH d'un groupe qui mutualisait à l'époque une grande partie de la presse papier jeux vidéo. Le rédacteur en chef d'un magazine auquel j'étais abonné depuis ma plus tendre enfance m'a répondu par mail quelques jours plus tard. Il m'a mis à l'essai, et m'a engagé sur-le-champ. Je ne le remercierai jamais assez pour ça. Je lui dois tout. C'est grâce à lui si je peux mener ma barque comme je le fais aujourd'hui.



Creajol : Comment se sont passés tes débuts dans l'industrie du jeu vidéo ?

Plutôt pas mal : mes deux premiers travaux, c'était des reportages à l'étranger. Le rêve de gosse qui se réalisait. J'ai assez vite réalisé que j'adorais m'entretenir avec les gens qui font les jeux. J'ai vu du pays, des lieux où je n'aurais jamais eu l'idée d'aller. Il y avait de l'envie, et je sentais qu'on me faisait confiance dans mon travail. Je marche à l'affect comme on dit.



Creajol : Un avis sur l'avenir du jeu vidéo ?

J'entends parfois de drôles de choses autour de moi : « le jeu vidéo est mort », « c'est la dernière génération de consoles de salon », « Nintendo va mourir »... Bref, ça fait des années qu'on nous rabâche les mêmes poncifs. C'est oublier la remarquable capacité d'adaptation du jeu vidéo au fil des décennies. Je ne prétends pas que tous les signaux sont au vert, loin de là (le marketing écrasant des gros éditeurs, les licenciements massifs...). Mais tant qu'on verra fleurir de belles idées, tant qu'il y aura de belles histoires à raconter, je ne vois pas de raison de perdre foi en l'avenir.



Creajol : Ton jeu vidéo préféré ?

The Legend of Zelda Majora's Mask, sur Nintendo 64. Je n'aurais pas assez de place pour décliner la gamme d'émotions que ce jeu m'a fait ressentir. J'aime sa bande-son, les non-dits qui ponctuent l'intrigue, son atmosphère apocalyptique, son gameplay qui nous invite à mettre à profit chaque seconde du temps qui passe pour prêter main forte aux êtres qui nous entourent. C'est un jeu qui a été fait avec amour, ça c'est certain. Ce n'est pas un hasard si le masque le plus difficile à gagner se révèle être celui de l'Amour.



Creajol : Le jeu vidéo en général, qu'est ce que ça apporte ?

Des émotions positives. Enfin, ça, c'est dans l'idéal. Moi, ça me détend, ça me fait voyager l'espace d'un instant. Penser à une séquence qui m'a fait tressaillir suffit à me filer un grand sourire. J'aime aussi le jeu vidéo pour les montées d'adrénaline qu'il procure. Pas plus tard que la semaine dernière, on s'est essayés avec deux amis à la démo d'un jeu de hockey sur glace sur PlayStation 3. Un tout petit machin, rien de fou a priori. Mais l'IA était tellement vicieuse que nous nous sommes jurés de ne pas éteindre la console avant de l'avoir défaite. On a tout donné pour décrocher cette victoire 2-1 sur le fil.



Creajol : Un avis sur l'industrie du jeu vidéo ?

Elle me fait pétiller quand elle me propose des rêves éveillés comme Journey. Elle me fait réfléchir sur ma condition d'être humain quand je joue à Spec Ops : The Line, ce faux jeu de guerre dans la lignée d'Apocalypse Now. Elle me fait rire jaune quand certains éditeurs dévoilent dans des salons des builds photoshopés auxquels les joueurs ne pourront jamais jouer. Elle me désespère quand elle fragmente ses jeux en contenus téléchargeables payants. Elle me chagrine quand elle multiplie les licenciements et les fermetures de studios qui ont bercé mon adolescence. Elle me galvanise quand elle nous permet d'échanger avec ses acteurs de vive voix ou, mieux encore, autour d'un verre.



Creajol : Un avis sur la façon dont le jeu vidéo est médiatisé ?

Activision, EA, Ubisoft... Il faut reconnaître que ce sont bien souvent les mêmes qui sont mis en avant, que ce soit en une ou en en-tête de site internet.

Je ne critique pas nécessairement le fait que certains médias soient en partie dépendants des gros éditeurs et des annonceurs. Tant que cela n'empêche pas de faire du bon travail, j'ai envie de dire qu'il n'y a pas de mauvais business model. Mais à l'heure où les jeux au budget plus modeste (Spec Ops, reparlons-en) ou les indés ont plus que jamais besoin d'exposition (pas seulement d'un point de vue médiatique, mais aussi parce qu'ils le méritent), les médias ne devraient plus se laisser aller à la facilité des unes sur Call of Duty ou Assassin's Creed.

Ce n'est pas histoire de cracher dans la soupe. J'en ai fait, des unes sur Call of et consorts, ce n'est pas un mal en soi. Mais quand je vois les unes du magazine JV, je me dis que je ne nage plus en plein angélisme, qu'une autre manière de mettre en avant le jeu vidéo se dessine. C'est même indispensable si on ne veut pas que les éditeurs de taille gargantuesque accentuent leur mainmise. Notez que je n'ai pas cité Take-Two exprès. Je ne suis pas à une contradiction près. C'est purement subjectif, parce que comme vous l'avez constaté, j'ai un petit faible pour leurs productions de 2K.



Creajol : Et l'éducation, la politique, la philosophie, l'âge du capitaine, dans le jeu vidéo ?

Je répondrais par une tarte à la crème qui au final n'en est pas une : tout est politique, philosophique, éducatif. Toute création vidéoludique est nappée d'une intention qu'il s'agit d'identifier. Le jeu vidéo est partout : dans les films, les musées, le salon, les téléphones portables. Il s'est infiltré dans toutes les strates de la société, nier son impact n'aurait aucun sens. Maintenant, surestimer son ou ses rôles est un écueil dans lequel il ne faut pas tomber. Gare à la sur-interprétation. On peut avancer sans risque que Spec Ops (c'est la dernière fois que je le cite, promis) a été réalisé avec davantage de matière grise que Battlefield. En revanche prétendre que Battlefield se résume à une propagande militariste, c'est un raccourci que je ne me risquerais pas à emprunter.

Source : https://twitter.com/BaptistePeyron

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