Portrait d'un responsable de gestion des territoires
Ernest de son nom de plume, responsable de stratégies de communication pour les jeux en ligne sur le marché européen (Communauté, Localisation, Relations presse, etc), a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !
" Nous, français, critiquons. Sans cesse. On nous apprend à discuter, à argumenter, à remettre en cause. Tant que c’est fait avec discernement et avec les bons arguments, ça ne fait de mal à personne, bien au contraire. Ca ne peut qu’aider à la pérennité du projet. "
Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !
Bonjour ! Je dois avouer que j’étais surpris de prime abord, car j’étais plus habitué à voir des interviews de personnes ayant généralement plus les mains dans le cambouis vidéo-ludique que moi, mais c’est un véritable plaisir que de partager ma petite expérience avec vous aujourd’hui.
Creajol : Qui es-tu ?
Ernest Noirepipe, bientôt 30 ans et encore toutes ses dents. Je suis actuellement responsable du département de gestion des territoires pour une entreprise spécialisée dans le jeu vidéo en ligne basée à Berlin, en Allemagne, où il fait bon vivre même quand il fait -15°C dehors, comme c’est le cas à l’heure où j’écris ces mots.
Creajol : En quoi consiste ton métier ?
Mon métier m’amène à porter plusieurs casquettes : je suis en effet directement responsable de l’application des stratégies de notre entreprise sur différents marchés, avec bien évidemment le marché français au centre de mon travail quotidien.
Je dois ainsi donner en permanence des retours sur les stratégies mises en place pour nos différents jeux afin de maximiser leurs résultats sur les marchés dont j’ai la charge. C’est une fonction qui offre une grande variété d’activités : qu’il s’agisse de confirmer le bien-fondé d’un événement en jeu pour les gestionnaires de communautés, de valider un glossaire pour le département de localisation après avoir vérifié que son contenu ne posait pas de souci, d’écrire ou d’adapter un communiqué de presse pour qu’il parle plus aux journalistes français et qu’il les incite à le retranscrire dans leurs colonnes ou encore qu’il faille jouer avec des budgets serrés pour organiser des campagnes de publicité, toutes ces responsabilités, parfois sans trop de points communs, m’incombent.
Même si je ne suis pas (et fort heureusement) chargé de l’exécution de toutes ces tâches (je suis épaulé par une Community Manager et une traductrice française, ainsi que par un stagiaire 6 mois par an), vous pouvez voir qu’elle demande une certaine flexibilité et une adaptabilité de tous les instants.
Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?
De travailler dans le milieu du jeu vidéo ? Clairement. D’occuper mon poste à l’heure actuelle ? J’aurais tendance à dire que non…
Travailler dans le milieu du jeu vidéo est un vrai bonheur. Vous interagissez la plupart du temps avec des gens aussi passionnés que vous, qui ne vous jugeront pas quand viendra au milieu de la conversation que vous avez passé le week-end à jouer à tel ou tel jeu plutôt que d’aller dans tel ou tel club huppé. Vous n’avez aucun mal à vous intégrer dans les entreprises puisqu’une grande majorité des employés partage votre passif de joueur. Mais après, soyons honnête, les discussions ne changent pas vraiment autour de la machine à café : si certains commentent le dernier match du Bayern, d’autres préfèrent commenter les résultats eSports du week-end.
J’ai toujours eu des facilités pour communiquer et l’envie de communiquer autour de ma passion, avec dans l’idée de lutter contre les clichés véhiculés dans les médias généralistes autour des jeux vidéo. Les circonstances ont fait que j’ai eu à me réorienter partiellement, mais j’espère pouvoir revenir à mes premières amours un jour.
Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?
A terme, réussir à exporter le savoir-faire que j’aurais acquis dans l’industrie du jeu vidéo dans d’autres domaines, pour sans doute faire tout autre chose. Même si ça consiste à retaper à la main des baraques au fin fond de la Lozère.
Dans un avenir proche, deux options pourraient m’intéresser : revenir là d’où je suis parti en m’impliquant dans une structure eSports, que ce soit chez l’éditeur d’un jeu avec un gros pan compétitif ou dans une équipe, ou rejoindre un développeur qui soit aussi éditeur, car, mine de rien, c’est une amélioration considérable du travail au quotidien que d’avoir les personnes en charge de la création du contenu du jeu à portée de main pour en assurer la promotion.
Dans les deux cas, quoiqu’il en soit, mon idéal reste le même : participer, d’une façon ou d’une autre, à lutter contre l’ignorance des bien-pensants qui n’ont de cesse de crier haro sur le baudet en rendant les jeux vidéo responsables de tous les maux du monde.
Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?
Ce n’est pas le paradis dont vous pouviez rêver. Une des phrases qui revient le plus souvent dans les entretiens que je peux avoir avec des aspirants à débuter une carrière dans le milieu est « Vous qui entrez, abandonnez toute espérance ».
J’ai fréquenté longtemps le milieu avant de le rejoindre et tout semblait attirant, que ce soit les employés, les projets ou les boîtes. Mais pour ce qui est du jeu en ligne gratuit tout du moins, dès que vous passez de l’autre côté du miroir, vous découvrirez tout un tas de pratiques qui sont des plus détestables et vous vous retrouverez à faire des choses qui vont à l’encontre même des principes que vous pouviez prôner quand vous n’étiez encore qu’un simple joueur. Le pire est qu’on vous fait parfois sentir dès les entretiens d’embauche que vous ne serez jamais plus qu’un des rouages de la machine à fric : entre les PDG dont l’ambition est de faire de leur boîte un Walmart du jeu vidéo gratuit en ligne et ceux qui entendent définir en objectif annuel des résultats dignes des plus grands noms avec des moyens se résumant à des bouts de ficelle et des bâtons…
Notez que je ne crache pas dans la soupe, ce milieu me fait vivre et même si cette désillusion permanente m’accompagne à chaque fois que je vais au boulot, j’essaye d’y faire de mon mieux. D’ailleurs, il en va peut-être autrement dans d’autres secteurs du jeu vidéo, mais j’en doute, de ce que je peux voir ou entendre quand je rencontre des collègues.
Dès lors que vous faites la paix avec cet état de fait, il vous appartient de faire en sorte de défendre au mieux vos idéaux et d’essayer d’infléchir autant que possible la vision des choses des décisionnaires. Et croyez-moi, l’opiniâtreté à la française est une qualité indéniable dans le milieu.
Creajol : Le jeu vidéo en général, qu'est-ce que ça apporte ?
La sensation de participer à une communauté qui transcende les barrières de langues, de culture et autres critères habituels de discrimination.
Creajol : Comment est-ce que tu crées ?
Je ne peux pas créer si je n’ai pas sous la main une feuille de papier blanc, ou, mieux encore, un tableau blanc et des marqueurs (désolé, je ne supporte pas la glisse de la craie sur l’ardoise). La première étape consiste à poser les idées en vrac, puis à les agencer, puis à faire intervenir mes collègues pour avoir leurs retours et que de cette réflexion naisse un projet encore plus abouti. Nous sommes une équipe, je ne conçois pas qu’un projet puisse être « mon projet » plutôt que celui de notre équipe.
Au final, cette méthodologie marche à peu près à tous les coups, et la plupart des collègues s’attardent toujours dans ma salle pour voir quelle est la dernière idée à avoir fait son apparition sur mon tableau.
Creajol : Que transmets-tu lorsque tu crées ?
Ma passion des jeux et mon expérience de joueur. Comme je le disais un peu plus haut, je ne suis clairement pas en faveur de certaines des pratiques (d’aucuns parleraient de dérives) de l’industrie. Aussi, quand je suis en charge de créer quelque chose, que ce soit une activité pour les joueurs, une campagne marketing ou un communiqué de presse, j’essaye de me mettre autant que possible dans la peau d’un joueur et de réfléchir à ce que j’aimerais qu’on me dise ou qu’on me propose sans pour autant qu’on me mente sur l’état du jeu.
Creajol : Ton travail et tes compétences évoluent avec le temps ?
Je ne peux que répondre par la positive. J’ai démarré en tant que simple chargé de relations presse pour la France, avant de prendre les responsabilités des relations presse pour un produit à l’échelle européenne, pour chapeauter à l’heure actuelle une équipe de personnes en charge à la fois des relations presse et du marketing de leurs pays.
A ma panoplie de communicant s’est donc greffé un profil plus marketing, que ma formation universitaire avait plus ou moins commencé à créer mais qui n’a muri qu’au cours de mes premières années dans l’industrie.
Creajol : Qu'apportes-tu à tes collègues ?
Ce que l’éducation à la française a de mieux : la dimension critique. La plupart de mes collègues sont plus empreints d’une culture où le boss a toujours raison, ce qui fait que le moindre de ses dires est parole d’évangile. Nous, français, critiquons. Sans cesse. On nous apprend à discuter, à argumenter, à remettre en cause. Tant que c’est fait avec discernement et avec les bons arguments, ça ne fait de mal à personne, bien au contraire. Ca ne peut qu’aider à la pérennité du projet. Après tout, si un français de l’équipe critique l’activité, vous pouvez être sûrs que les joueurs français auront à y redire aussi, et ce n’est pas comme si c’était un petit marché qu’on pouvait se permettre d’ignorer.
Creajol : Autre chose ?
Merci à JOL et à tous les bénévoles qui font vivre ce portail depuis plus de dix ans maintenant. On ne le dira jamais assez : sans vous, le jeu en ligne ne serait peut-être pas là où il en est à l’heure actuelle. Mais la route est encore longue. Ne relâchez pas vos efforts et n’oubliez pas d’évoluer au même rythme que l’industrie.
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