Portrait d'un sound designer, Laurent Lozano
Laurent Lozano, un jeune sound designer très inspiré, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !
" Un bruit de coffre doit être orgasmique. Le joueur doit vraiment se sentir récompensé pour ce qu'il a accompli, et le son en question doit apporter tout ça, cette sensation de magie, de récompense, de soulagement, de gloire, et l'envie de progresser encore et toujours... le tout en très peu de temps : quelques secondes à peine. "
Creajol : Qui es tu ?
Je m'appelle Laurent Lozano, musicien pendant longtemps autodidacte - dont la principale occupation a été de composer des musiques pour ensuite les distribuer sur la toile sous la licence Creative Commons. Sur le net, j'erre sous les pseudonymes Lzn02 pour mes projets "perso", et "Sarys" suite aux parutions d'un projet de fanartwork musical autour de l'univers d'un jeu vidéo. Je suis originaire du sud, où j'ai suivi (je parle au passé car elle est bientôt terminée) une formation de Sound Designer. A l'heure où j'écris, je suis stagiaire dans une boite de jeux vidéo en France en tant que Sound Designer.
Creajol : En quoi consiste ton métier ?
En gros, mon travail consiste à donner une âme sonore aux environnements, objets, personnages, et toutes les choses qui peuplent le jeu. Mais je ne peux pas m'arrêter à cette définition maladroite.
Le Sound Designer doit savoir modeler la perception d'un joueur sur un élément du jeu. J'aime parler d'Affect ("qui change l'état perceptif de") et d'Event ("évènement").
En gros, on doit savoir s'accaparer de la représentation visuelle de l'élément et aller au delà. Pour te donner un exemple concret : l'ouverture d'un coffre. On pourrait s'arrêter à un bruit "simple" de coffre qui s'ouvre, avec le travail sur la matière du bois et des bruits de charnières et de loquets.
Mais non. Un bruit de coffre doit être orgasmique. Le joueur doit vraiment se sentir récompensé pour ce qu'il a accompli, et le son en question doit apporter tout ça, cette sensation de magie, de récompense, de soulagement, de gloire, et l'envie de progresser encore et toujours... le tout en très peu de temps : quelques secondes à peine. Bon après ça dépend du type de coffre. Si c'est un coffre tout bâtard avec de la poussière dedans, je ne vais pas l'enrichir comme ceci... :p
Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?
Oui !
C'est une façon de vivre je pense. Prendre du recul et analyser l'atmosphère qui nous entoure. Être réceptif, aimer un peu la psychologie et la sociologie, savoir s'écouter et se comprendre soi-même, tout comme écouter et comprendre autrui. Le tout pour concentrer une sorte de mine d'informations, qui me sert de base. Enfin, me servir de cette base, chercher à aller au delà pour "peindre mon tableau", d'abord pour que ça corresponde (à l'objet bruité) et ensuite pour que ça évoque des choses chez le joueur.
C'est une sorte d'ouverture d'esprit à la correspondance "visuel"/"son". Je trouve ça poétique, essayer de créer des essences avec des matériaux bruts. Et de mémoire, j'ai toujours été plus à l'aise pour communiquer par des métaphores. Je vois le sound-design comme une grosse métaphore. Je décris globalement l'objet avec le son de manière quasi-palpable avec deux objectifs très importants : les joueurs doivent pouvoir lire entre les lignes ; et je dois y ajouter mon idée, ma personne, et l'identité sonore du jeu. Quel est l'intérêt de bruiter un coffre (j'y tiens à mon exemple :p) si c'est pour retrouver le même son dans un autre jeu ?
Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?
Vu que je suis tout frais dans le monde du travail, je vais un peu là où je peux aller. C'est mes jeunes années, je suis avide d'expériences.
A terme j'aimerai pouvoir trouver une équipe avec laquelle je me sente bien, et pouvoir discuter sérieusement d'un tas d'idée sur lesquels je bosse à mes rares heures perdues. Je pense que le jeu est un concentré d'idées et de passions, et que l'on a toujours quelque chose de nouveau et d'artistiquement "puissant" (je ne trouve pas d'autre mot) à proposer. Mais pour cela, il faut que sur chaque aspect créatif il y ait une discussion fusionnelle pour pouvoir inclure au maximum les personnalités/les âmes de chaque intervenant créatif, de faire mûrir le tout pour créer un jeu unique avec sa propre âme. Il faut voir au delà des styles et des genres actuels, briser les barrières.
En ce moment ce qui me saoule, c'est qu'on nous sert toujours les mêmes recettes, avec juste une présentation un poil différente. J'ai l'impression qu'on est revenu à l'époque où un FPS ne pouvait être qu'un "doom-like". Je suis un peu navré que tout ce qu'on nous donne à manger - société de consommation oblige - est cuisiné dans le même moule, et il y a trop peu de jeux en ce moment qui vont au-delà de ces archétypes.
Je veux clairement à terme bosser sur des projets qui dégueulent de poésie. Je pense à des jeux comme Flowers, LocoRoco, Night. Mais avec le budget d'un Modern Warfare 2. C'est un rêve fou, de bosser dans une team de personnes réellement motivées à changer la donne, et sans contraintes. Je veux que les joueurs puissent enfin voir "au-delà", qu'ils voyagent réellement, qu'ils y trouvent leur compte et contes. Qu'une fois qu'ils aient finis le jeu qu'ils aient le même sentiment que j'ai eu quand gamin j'avais fini de lire le Seigneur des Anneaux - ce sentiment à mi chemin entre "j'ai enfin fini de lire ces trois pavés" et le "je suis deg' que ça finisse, je veux trop que ça continue, j'aime cet univers et ses habitants". Que les gens soient émus, aspirés. Et que le jeu soit un tremplin pour leur imaginaire et non pas qu'ils s'enferment dedans. Qu'ils voient au-delà.
Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?
Bon courage et accrochez-vous. Mais ne soyez pas trop présomptueux, sachez écouter les conseils de vos pairs sans mettre trop d'égo dans vos créations. C'est une œuvre collective. Le projet avant l'ego ;)
Creajol : Ta plus grande joie dans la production d'un jeu ?
J'en ai trois.
La première, quand j'ai finis mon débug et mon intégration du son, qu'il est mixé, et que je le vois enfin en jeu. Ça peut paraître ridicule, mais j'ai donné vie à cet objet. Là sous mes yeux et mes doigts, et grâce à moi, il est vivant. Il a une âme. Il passera inaperçu, mais s'il n'était pas là, le jeu ne serait pas pareil.
La seconde, quand les gens de la boite qui n'ont rien à voir avec le son viennent nous trouver pour nous dire "putain ce son là, ils nous a fait trop rire. Bien joué les mecs, encore !" C'est super agréable de dissimuler des petits trucs dans le travail qui font que cet objet là, même anodin, les gens vont le retenir, s'en souvenir.
La troisième, c'est le retour des joueurs/du public. Je ne sais pas comment expliquer ça. Je vois ça comme de la cuisine. En général je ne me fais pas à bouffer pour moi tout seul, quand je cuisine c'est toujours dans l'objectif de faire plaisir à quelqu'un. J'y passe des heures, je me prend la tête, j'essaye d'innover et d'y ajouter ma personnalité. Quand après tout ce temps, je vois la personne en face de moi prendre son pied à manger, je me dis que j'ai réussi. C'est pareil pour le sound design. Quand tu vois un joueur prendre le temps d'écrire sur un forum que l'ambiance sonore de son jeu lui plaît et qu'il aime le travail que tu as abattu, tu es content. T'as pas la grosse tête, mais tu te dis que ça vaut le coup et que c'est la plus belle reconnaissance que ce joueur pouvait te faire. C'est le salaire du cœur.
Creajol : Qu'est ce qui t'inspire ?
La vie, c'est ma source d'inspiration la plus haute, que ça soit dans ses bons ou mauvais côtés. Je pense que nous avons pas assez d'émerveillement pour les petites choses éphémères de la vie. C'est des choses que je chéris. Je vois des choses merveilleuses dans l'anodin, et je passe souvent pour un con à cause de cela. Mais je m'en branle, je suis heureux, et ma source d'inspiration ne se tarira jamais. Je suis malheureux quand je ne peux pas m'exprimer, ou que je suis obligé de m'exprimer dans un langage formaté par les gens qui ne pensent pas. Et je suis aux anges quand je peux m'exprimer sincèrement dans la musique, mon travail, ou avec des rencontres magnifiques, comme avec David Calvo ou Guillaume Pervieux.
L'éphémère est la plus belle des choses.
Ma seconde source d'inspiration c'est mes rêves. Je rêve trop. Je m'amuse souvent à annoter mes rêves dès le réveil, c'est pas super joli à voir déjà que j'écris très mal, mais je trouve ça fascinant comme notre esprit peut se barrer si loin en quelques secondes réelles. C'est une source de matériaux bruts qu'il faut après savoir travailler pour créer peut être une petite idée sympa à retenir. Mais je pense que ça vaut le coup.
La troisième c'est ma moitiée. Ma muse.
Creajol : Qu'est ce que tu admires ?
Mes collègues. La vie. La poésie.
Mes collègues, car ma situation actuelle en dehors du taff est assez pourrie, et sans prendre le temps de me connaître c'est des gens qui m'ont tendu la main. C'est des gens qui m'ont pris sous leurs ailes, ne m'ont pas pris de haut et ont commencé à discuter avec moi. Et mon avis les intéresse. Ils savent m'écouter et prendre note de mes idées. Ils parlent sans crainte, ils sont poètes à leur manière.
Creajol : Que transmets-tu lorsque tu crées ?
Ce que je peux. Par là, je veux dire que je ne peux pas me permettre de transmettre n'importe quoi que ça soit dans une musique où un SFX. Pour un SFX, en général je transmet des idées au delà du simple event à bruiter. J'ai donné l'exemple du coffre, mais je pourrais te donner l'exemple d'un frigo. Un frigo c'est quoi ? C'est la contradiction parfaite entre l'immobile-le froid et la châleur de la vie (la bouffe), la rapidité (on ouvre le frigo, on prend, on referme). Un level-up c'est quoi ? C'est le bon rapport entre l'orgasme, l'accès à de nouvelles armes ou techniques, c'est une évolution qui conduit vers d'autres évolutions de son personnage, c'est récompenser le joueur pour ses faits d'armes et lui donner envie de continuer à progresser.... Le son, même si bref, doit transmettre toutes ces idées et les suggérer, de manière inconsciente au joueur.
J'essaye de transmettre tout cela de manière personnelle. Donc je pourrais répondre enfin brièvement à la question en disant que je transmet l'essence de ce que je dois bruiter ou composer un thème pour, tout en y mettant de ma personne.
Creajol : Ton travail et tes compétences évoluent avec le temps ?
Oui, c'est évident. Je pense que dans la domaine de la création sonore - pour ne parler que de ce que je connais, on en apprend tous les jours. Cet apprentissage permanent se fait lors des discussions dans le cadre du projet avec les différents collègues, pendant les pauses clopes où l'on peut parler d'autre chose, les moments que l'on peut passer à discuter avec le mec en le regardant bosser... Je vois les compétences comme l'âge. S'arrêter de vieillir, ça veut dire qu'une chose : qu'on est mort. L'immortalité n'existe pas. Le jour où j'arrêterai d'apprendre et d'évoluer, ça voudra dire que je suis artistiquement "mort", un cadavre jonché là, inutile, qui n'apporte rien, immobile. C'est la pire chose qu'il puisse arriver à un artiste à mon avis, ce stade d'autosuffisance où l'on croit tout connaître et savoir. C'est la mort de l'artiste et du poète, de répéter sans cesse les mêmes choses. Moi, je me vois comme un enfant, et je veux continuer à grandir, à aller toujours plus loin.
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