Portrait d'un lead développeur, Sylvain Glaize
Sylvain Glaize, dans l'industrie depuis 12 ans et actuellement lead développeur, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !
" Un cadre de travail idéal doit réussir à concilier l'aide à la concentration et la facilité à communiquer avec ses collègues. Ce n'est pas évident car la concentration nécessite de ne pas être perturbé, pas coupé dans son élan et de l'autre côté, une bonne communication dans l'équipe nécessite de pouvoir se voir et se parler facilement, à n'importe quel moment. "
Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !
Bonjour !
Creajol : Qui es tu ?
Je m'appelle Sylvain Glaize, marié, papa, joueur et informaticien. Je travaille dans un studio de production de jeu vidéo depuis 12 ans.
Creajol : En quoi consiste ton métier ?
Aujourd'hui, je suis Associate Lead Programmer sur une grosse production. Je suis aux côtés du Lead Programmer et effectue le management d'une partie de l'équipe des informaticiens travaillant sur le moteur du jeu. J'ai aussi en charge le suivi de certains thèmes ou dossiers. J'ai aussi des tâches de programmation.
La partie management consiste à suivre des membres de l'équipe « moteur » dans les développements dont ils ont la charge. Suivre signifie que je dois m'assurer que les développements sont cohérents avec ce qui est
demandé, de bonne qualité, mais cela signifie aussi lever les obstacles qui peuvent les freiner, m'assurer que la communication se fasse bien et qu'ils puissent faire leur métier dans les meilleurs conditions, humainement et techniquement.
Pour les thèmes et dossiers que je prends en charge, mon travail consiste, à partir de besoin exprimés (ou parfois pas) par les utilisateurs du moteur et des outils à chercher et proposer des solutions. C'est une
partie du métier qui amène à beaucoup de communication avec d'autres métiers et studios et un suivi continuel de ce qui se fait dans le domaine.
Le côté programmation, lui, consiste à développer des morceaux du moteur et des outils informatique, ainsi qu'à les améliorer et les maintenir. Par le passé, j'ai été programmeur dans divers domaines : affichage, son, animation, outils, interfaçage d'une plateforme,...
J'attache une grande importance aux démarches de qualité dans la programmation, sujet sur lequel je travaille au delà du projet auquel je suis rattaché.
Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?
Que ce soit pour l'informatique ou le jeu, oui. Ma pratique du jeu ne se limite d'ailleurs pas aux jeux vidéo. Jeux de rôle, jeux de plateau, jeux de figurines, jeux de cartes, grandeur nature,...
Côté informatique, j'ai découvert les ordinateurs à une époque où il n'y avait pas d'autre choix, pour les utiliser, que de comprendre leur fonctionnement. Je suis tombé dedans et je n'en suis jamais sorti.
Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?
Continuer à apprendre, continuer à faire partie de l'évolution des jeux, continuer à partager ce que j'ai appris. Je n'ai pas un souhait en particulier. Je préfère avoir plusieurs buts. Certains sont des enchaînements, certains non. Cela me permet d'être flexible et de pouvoir mettre de côté, temporairement ou définitivement, certains souhaits ou buts sans trop de regrets.
La vie est jalonnée par des choix à faire dans un environnement chaotique. Je préfère me baser sur des valeurs qui dirigeront ces choix plutôt que d'abandonner des valeurs pour poursuivre des buts précis. Peut-être que finalement, professionnellement ou pas, mon plus grand souhait est de pouvoir conserver mes valeurs.
Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?
Travailler dans le milieu du jeu vidéo est un rêve aux contours flous. Quand on me demande comment faire pour travailler dans le jeu vidéo, je demande : dans quel métier ? À ce moment là, il y a généralement un blanc, car la personne ne s'est pas posé cette question.
C'est avant tout du à une mauvaise connaissance des métiers qui sont nécessaires au jeu vidéo. Il existe de plus en plus d'articles ou de référence pour les découvrir, mais ces métiers étant variable d'une entreprise à l'autre, voire d'un projet à l'autre, ces documents sont souvent assez flous. Ils donnent cependant quelques pistes.
Alors, voulez-vous programmer, dessiner ou modéliser, concevoir les règles du jeu, concevoir des niveaux, réaliser les séquences d'animations, tester la qualité du jeu, des outils, gérer les budgets, organiser la communication interne, externe, gérer les infrastructures réseau,... ?
Rien que dans le nom de mon métier, programmeur, plusieurs métiers sont en fait regroupés : programmeurs moteur, programmeurs outils, spécialisations dans certains domaines,... Dans un petit studios, certains rôles peuvent êtres mélangés. Plus la production est grosse, plus les métiers se spécialisent.
Comme les places dans le jeu vidéo sont chères, mieux vaut viser une profession qui peut être utile dans ce domaine, travailler dans ce sens au travers de projets personnels et de stages en rapport, mais garder la possibilité d'aller ailleurs, éventuellement temporairement.
Mon dernier conseil est d'être curieux et ouvert. Le jeu vidéo regroupe beaucoup de gens différents, avec des métiers différents, travaillant dans des domaines différents. Soyez curieux, soyez ouverts.
Creajol : Quels sont tes meilleurs outils de travail ?
Assurément, mon outil principal est un ordinateur. Le produit final de mon travail est un programme, il n'a pas de sens sans machine et ces machines sont programmées à l'aide d'un ordinateur.
Ajouté à cela, un cahier, des feuilles et un stylo. Je garde toujours sur moi au moins un carnet et un crayon et la plupart du temps un assistant électronique. Une idée géniale, cela peut surgir à n'importe quel moment,
il faut être certain de pouvoir la capter sur le moment. C'est plus tard que l'on pourra examiner si elle était vraiment géniale, et quoi en faire. Cela permet aussi de se désencombrer le cerveau et aide à la concentration.
Pour la prise de notes, la réflexion, l'exploration d'idées, je suis un adepte des cartes heuristiques. Les cartes heuristique sont flexibles et je les trouve pratique pour mettre rapidement sur papier des idées, prendre des notes lors d'une réunion, avoir une vue d'ensemble d'un sujet, faire un résumé rapide d'une lecture.
Creajol : Un cadre de travail idéal, c'est quoi ?
Un cadre de travail idéal doit réussir à concilier l'aide à la concentration et la facilité à communiquer avec ses collègues. Ce n'est pas évident car la concentration nécessite de ne pas être perturbé, pas coupé dans son élan et de l'autre côté, une bonne communication dans l'équipe nécessite de pouvoir se voir et se parler facilement, à n'importe quel moment.
Ce que j'ai trouvé de plus agréable, dans le cadre d'une entreprise, est un compromis entre le grand open space et le petit bureau. Le grand open space est un lieu de bruit où la concentration est difficile et où la
communication est finalement noyée dans le bruit ambiant. Les bureaux trop petits peuvent être désagréable car générateur de mouvements continuels entre les pièces.
Vient ensuite la délicate problématique du groupement : par métier, par mission ? Le mieux est encore de pouvoir être mobile pour pouvoir restructurer la position des équipes en fonction des besoins.
Le cadre de travail ne doit pas non plus induire la suspicion : des équipes trop séparées provoquent souvent l'idée que "les autres" ne font rien, un chef qui s'arrange pour voir les écrans de tous les autres fait peser sur eux un poids qui est néfaste.
Un coin repos est important, il est nécessaire parfois d'aller s'aérer la tête. On dit souvent que la plupart des bonnes idées ne sont pas trouvées à son bureau, mais devant un café ou sous sa douche. Je suis parfaitement d'accord avec cela. Le cerveau a besoin de pauses pour être efficace.
Des endroits pour le travail en commun sont aussi nécessaires. Cela va des traditionnelles salles de réunion, qui doivent être assez nombreuses pour que le lieu de repos ne devienne pas un lieu de réunion, au beaucoup plus rare, pour la partie informatique, endroit destiné au pair programming.
Tout cela ne concerne bien entendu que les studios de production regroupant les membres en un même lieu. Pour les cadres de travail en télé-travail, la donne change. Cependant, de ce que j'ai pu comprendre en
discutant avec des personnes travaillant dans ces conditions, les principes restent les mêmes : l'environnement doit être calme mais permettre la communication.
Creajol : Faire un jeu vidéo, c'est s'amuser toute la journée ?
Non. Mais c'est une idée que l'on peut se faire. La presse et le marketing n'aident pas à se faire une image correcte : ils sont là pour vendre du rêve et les vidéos ou photos de gens qui s'amusent dans des locaux de studio sont légions. L'image envoyée à l'extérieure est très distordue.
Est-ce sinistre pour autant ? Tout de même pas. Il y a toujours les studios qui ne fonctionnent pas, aux chefs tyranniques et ceux qui ont une ambiance excellente. Il n'y a pas vraiment de différence avec une PME d'un
autre domaine. La différence se situe dans le produit : un jeu vidéo.
Ce jeu vidéo que l'on peut lancer quand on veut dans la journée, que les testeurs doivent lancer à longueur de temps, peut faire penser que l'on s'amuse. Ce qu'il faut réaliser, c'est que ce jeu va passer par beaucoup
de phases, pas forcément amusantes, qu'il va dysfonctionner, qu'il va passer par de longues phases de réglages. Pendant la création d'un jeu, on ne joue pas longtemps au jeu tel qu'il sera finalement révélé au public.
En particulier, le métier de testeur qui fait beaucoup rêver les plus jeunes (jouer toute la journée !) est particulièrement trompeur : un testeur joue effectivement toute la journée. Mais il joue au même jeu
pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, tous les jours. Il doit jouer des manières les plus étranges, se forcer à perdre, regarder les mêmes cinématiques des centaines de fois.
Après avoir dressé ce sombre portrait, je dois dire tout de même que je m'amuse beaucoup dans le sens où ce métier me plait et que je le fais avec plaisir.
Mais attention, faire un métier avec plaisir, né d'une passion, ne doit pas faire oublier quelque chose : le jeu vidéo demande de vraies compétences. N'acceptez-pas tout sous prétexte que vous voulez faire un
métier passion.
Creajol : Tu joues ? Qu'est ce que ça t'apporte ?
Je joue beaucoup. Comme je l'ai déjà dit en introduction, je ne joue pas qu'aux jeux vidéo. En premier lieu, ça m'apporte du plaisir. Celui-ci vient de très nombreuses sources qui peuvent différer suivant le type de
jeu et son medium. Nourrir son imaginaire en jouant à un jeu d'aventure, le faire travailler en participant à un jeu de rôle. Travailler ses réflexes, sa mémoire, son esprit de déduction, élaborer une stratégie, une tactique. Plaisir de manipulation dans les jeux de société. Plaisir partagé lorsque ces jeux nécessitent plusieurs joueurs.
Au delà du plaisir de jouer, cela m'apporte aussi une connaissance du monde ludique. C'est nécessaire en ce qui concerne le jeu vidéo : j'ai besoin de savoir ce qui se fait, comment, avec quel niveau de qualité. Les autres types de jeu nourrissent cette connaissance au delà du jeu vidéo.
Creajol : Un avis sur l'avenir du jeu vidéo ?
Je n'ai pas de boule de cristal et je préfère rester flexible. Mon avis sur l'avenir du jeu vidéo est qu'il en sera comme jusqu'à maintenant : imprévisible. On trouve beaucoup de prédicateurs tout au long des articles de magazines, de sites web ou dans les conférences. Donner un avis sur le futur, c'est tenter de l'influencer tout en faisant un placement. Si la prédiction se révèle juste, alors on devient le visionnaire de demain qui sera loué pour sa clairvoyance. En faisant sa prédiction tout haut, on conforte les idées que des tas d'autres personnes ont, on peut faire pencher la balance de décision quelque part dans un studio, ce qui donne quelques chances supplémentaires de voir sa prédiction se réaliser.
Ce que je souhaite avant tout, c'est que de plus de plus de gens puissent accéder aux jeux. Cela signifiera que de plus en plus de gens ont la possibilité d'avoir des loisirs.
D'un point de vue plus technique, je pense que l'on va assister à de plus en plus de brassages de supports. Peut-être est-ce par ce que je suis moi-même un joueur multi-support et que c'est un souhait personnel.
Certains jeux de plateau s'invitent dans la sphère vidéo ludique et inversement, ce n'est pas nouveau. Mais il y a de plus en plus d'essais où le jeu vidéo et le jeu de plateau se mêlent étroitement.
Quelques jeux de société sont disponibles sur tablette, pour le moment pratiquement que sur la plus connue d'entre elle. La télévision en relief et les périphériques de détection de mouvement pourraient amener de la
manipulation dans le jeu vidéo, surtout si la télévision continue d'évoluer vers de l'holographique, que les lunettes à augmentation de réalité deviennent grand public et que des retours tactiles deviennent convainquant.
Les grandeurs natures utilisent déjà beaucoup d'artifices lumineux pour recréer l'ambiance nécessaire au jeu. Là encore, des collisions peuvent avoir lieu avec le jeu vidéo, comme il y en a déjà naturellement avec d'autres types de jeu (ainsi, j'ai déjà participé à un grandeur nature où un jeu stratégique simultané influait sur les évènements).
Quelques jeux de figurines s'aident de l'outil informatique. La dernière version de Donjons & Dragons, le jeu de rôle, a une mécanique très huilée qui rappelle un jeu vidéo. J'ai quelques idées de mélange entre jeux de figurines et jeux vidéo aussi. Et je ne pense pas être le seul a avoir ces idées, loin de là.
Mais parce que les joueurs ont de nombreuses et différentes aspirations, je crois aussi à un maintient de la diversité et aux formes simples du jeu. Une simulation historique de guerres napoléoniennes sur PC n'empêche personne de jouer aux échecs. Tout le monde n'a pas non plus envie de remuer devant sa télé, ni tout le monde de réfléchir à des énigmes mathématiques. Certains n'envisagent pas le jeu sans ambiance festive, certains préfèrent le calme.
Mon avis pour l'avenir est qu'il faut prendre en compte toutes ses aspirations.
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