Portrait d'un directeur technique, Raphael Gervaise
Raphaël Gervaise, un directeur technique travaillant en Angleterre, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !
" Au final, ce n'est pas important de ne pas trouver ou ne pas savoir, ce qui est important c'est d'aborder un problème avec une démarche rigoureuse. Un ingénieur est la pour résoudre des problèmes; ça reste vrai dans le jeu vidéo. "
Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !
¬
Creajol : Qui es tu ?
Raphaël Gervaise, 27 ans, Francais vivant en Angleterre. J'ai fait une formation d'ingénieur+master en informatique, et je suis dans le jeu vidéo depuis un peu plus de 4 ans; j'occupe actuellement le poste de "Technical Producer" sur un projet next-gen.
[NdCreajol: Ce portrait fait partie des interviews publiées début 2009 sur le blog d'origine, et par la suite migrées sur le site dédié Creajol. Par conséquent, il s'agit plutôt d'une retrospective !]
Creajol : En quoi consiste ton métier ?
J'ai évolué assez rapidement au cours des dernières années, je vais donc répondre en plusieurs parties, pour détailler 2 postes importants:
Lead Developper, qui relève plus du technique
- communication horizontale (Leads / Production Team)
- communication verticale (Senior Developpers <> Lead Developper <> Producer)
- gestion de personnel: recrutement, encadrement et revues
- analyse de faisabilité et prioritisation
- définition et revues des procédures liées au domaine technique
- roadmap technique /planification haut niveau
Technical Producer, qui relève plus du suivi
- communication horizontale (Leads / Production Team)
- communication verticale (équipes <> Technical Producer <> Producer)
- suivi de développement et rapport d'avancement
- définition et revues des méthodes de travail et des pipelines de création/intégration de contenu
- amélioration du cadre de travail, et mise en place de nouveaux outils, etc.
- définition et livraison des milestones
- interactions avec les éditeurs, et planification avec ces derniers
- facilitation de la communication, de la coordination et de la résolution de problèmes
- analyse/gestion des risques et problèmes
voila, ce n'est pas exhaustif, mais ça couvre pas mal de mes activités; certaines se font en collaboration étroite avec d'autres membres de l'équipe de prod (Art Producer, Audio Producer, etc.) ou des Leads (Developper, Art, Design, QA, etc.). On pourrait détailler chaque point (i.e. quelles interactions avec les éditeurs? en quoi ça consiste? quelles sont leurs attentes? etc.), mais risque de faire très long :)
Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?
OUI! Je ne crois pas que l'on se dirige par hasard vers le domaine du jeu vidéo. Dans le rôle où je suis, je ne participe plus directement à l'élaboration du contenu ou à son intégration, dans la mesure où je m'occupe surtout de "faire faire", mais en contrepartie cela permet d'avoir une bonne vue du projet dans son ensemble, et cela reste une passion.
Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?
Histoire de ne pas déroger à la règle, tout le monde a un peu l'envie de monter son propre studio.. Chacun a des idées (en termes de mécaniques de jeux, marches, attentes du public, méthode de développement, etc.) et il faut donc essayer de pouvoir en faire un jour son activité principale.
Maintenant, à plus court terme, il est tout aussi intéressant de participer à un produit qui marque les esprits; pas forcement un de ces "AAA" défini comme "hits" à grand coup de marketting, mais plutôt un jeu s'adressant à un bien public bien ciblé. Une question plus loin revient sur ce à quoi je fais ici référence.
Pour l'instant, je pense surtout attendre une certaine évolution de la filière du jeu vidéo: avec la démocratisation des plateforme onlines, on peut tendre vers une suppression des intermédiaires avec une distribution à la portée de tous: à partir de là, les possibilités seront bien plus vastes, et on devrait voir l'apparition de titres plus originaux et novateurs. En sortie de ce tournant, je pense qu'il sera essentiel de re-évaluer ce que je qualifierais alors de "plus grand souhait".
Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?
S'accrocher :D Mais ne pas se fermer de portes inutilement...
Dans un premier temps, savoir ce qui attire dans le jeu: la création de contenu? le challenge technique? jouer (passez votre chemin...)? Aujourd'hui on trouve plein d'outils pour que des amateurs puissent réaliser des jeux, le mieux est encore de se faire une idée par soi même.
Ensuite, et bien que ce domaine explose en terme de chiffre d'affaire, le jeu vidéo reste un employeur assez marginal et pas forcement très stable. Personnellement, j'aurais tendance à recommander d'éviter des formations trop "étroites", qui ne permettent pas une reconversion aisée. Ne pas oublier que la réalisation d'un jeu aux standards actuels est une affaire de spécialistes: on n'est pas programmeur de jeux vidéo, ou artiste de jeux vidéo, on est avant tout programmeur ou artiste, avec des spécialisations bien précises (exemple pour les programmeurs: physique, intelligence artificielle, 3D, traitement du signal, etc., quelques exemples pour les artistes: character artist, props artist, vehicle artist, concep artist, etc.).
Mon point de vue sur les formations dites "pour le jeu vidéo", c'est qu'elle font toucher un peu a tout sans donner les compétences nécessaires ni pour participer a la création d'un jeu, ni pour se re-orienter. D'ailleurs, dans le technique on embauche quasiment que des masters ou des PhD; la reconversion dans d'autres industries est d'autant plus aisée si on ne trouve pas de travail dans le jeu vidéo. (NDLA: ce commentaire n'est pas forcement vrai pour des produits de complexités moindres, je fais surtout référence a des jeux PC/consoles de salon: pour du casual gaming, mobile gaming, web-games, etc. les exigences sont tout autres. Loin de moi l'idée de dévaloriser ces branches, c'est simplement que les approches sont différentes)
Pour ce qui est de la candidature en elle-même, c'est bête à dire, mais ENVOYEZ DES DOSSIERS COMPLETS! Quand on reçoit des documents obscurs, qui en disent peu sur les compétences de la personne, on ne cherche pas plus à comprendre: on a déjà un a-priori sur les capacités de synthèse / analyse / communication / etc. du candidat. Une candidature complète, c'est un CV clair et bien formaté, une lettre de motivation qui détaille ce que le candidat recherche ET apporte, des lettres de recommandations dans la mesure du possible, et des projets personnels à défaut d'expérience professionnelle (demoreel, portfolio, code samples, etc.). Préférer un travail spécialisé démontrant la maîtrise d'une technologie récente, plutôt qu'un projet de jeu complet qui ne présente que peu de challenge (et inutile de mentionner votre demo de futur mmo- qui affiche 2 sprites à l'écran: loin de montrer une compétence, ça montre plus une profonde incompréhension de la complexité des productions actuelles).
Et ne pas négliger les compétences "secondaires": langues (je suis bien placé pour le savoir...), clarté d'expression, travail en équipe, organisation, etc. Ce sont souvent elles qui font la différence, dans la mesure où beaucoup de candidats sont "au point" dans leur domaine.
(ah oui, et en dernier mot: Non! Le Game Designer n'est pas le messie...)
Creajol : Faire un jeu vidéo, c'est s'amuser toute la journée ?
Non, loin de là, c'est surtout énormément de travail, et beaucoup de pression. Et puis il y a tout ce qui va "autour" de la réalisation du jeu, et qui ne contribue pas directement à son contenu: management, planning, gestion, etc. Au final, personne ne "joue" jamais vraiment: il y a bien des phases d'itérations de gameplay, des validation de "build candidates" pour les milestones, etc. mais ça n'a rien à voir avec le fait de "jouer" à un jeu, et cela ne concerne au final que peu de personnes. Même dans les département de Q&A, on ne peut en rien parler de jeu: tout tourne autour de listes de bugs, validation de fixes, rapports d'évolution, etc.
Pour évaluer un produit avec des joueurs en tant que tels, on procède parfois à des "focus tests", qui font tester une version en cours de développement (parfois de simples concepts assez abstraits) à un groupe restreint de personnes représentatives du marche ciblé. On enregistre alors leurs réactions, la facilité de prise en main, les frustrations, les attentes, etc. et les designers en charge utilisent ce retour d'information pour affiner ou revoir les mécaniques.
Toutefois, il y a dans le JV une ambiance très particulière qui semble commune à a peu près tous les studios; c'est entre "convivialité" et "décontraction", ça contraste beaucoup avec les masses de travail que chacun effectue chaque jour. A croire que la majorité des gens du domaine aiment leur métier. :)
Creajol : Qu'est ce que tu attends d'un entretien d'embauche avec un candidat ?
De la réflexion! En tant que Lead Developper, je faisais passer des entretiens pour des postes clefs dans l'équipe de programmeurs. L'entretien est pour moi un moyen de sonder le cerveau du candidat, comprendre sa façon de raisonner, d'aborder les problèmes, etc. Le CV est un support qui permet d'adapter les lignes directrices de l'entretien, mais avec moi c'est très "actif": y'a des exercices, des tableaux blancs, des questions techniques, des questions de compréhension globale, des questions de méthodologie, etc. C'est un peu comme mettre le candidat dans une situation de travail en équipe: on soumet un problème, et on voit comment il mène sa réflexion: il expose sa démarche, critique les pours/contres, propose des solutions, etc. C'est aussi l'occasion de voir comment le candidat est capable d'intégrer de nouvelles idées: en cours de raisonnement, on donne quelques éléments: certains sont capable de rebondir tout de suite, et travaillent avec des concepts qu'ils viennent tout juste de découvrir. On peut facilement planter à peu près n'importe qui, si on veut faire du technique, mais ce n'est pas le but: chez moi, au final, c'est pas important de ne pas trouver ou ne pas savoir, ce qui est important c'est d'aborder un problème avec une démarche rigoureuse. Un ingénieur est la pour résoudre des problèmes; ça reste vrai dans le jeu vidéo.
Creajol : Tu joues ? Qu'est ce que ça t'apporte ?
Oui, je joue un peu; principalement sur mon PC personnel, et quelques heures par semaine. C'est surtout la découverte de nouveau mécanismes de jeu qui m'intéresse. J'ai tendance à éviter la grande majorité des "grosses production" dont en entend parler partout: certains titres sont "markettes" de façon à apparaître comme des AAA avant même que quiconque ne puisse y jouer... (articles exclusifs dans la presse, campagnes de pub façon tsunami, closes pre-pre-view, etc.) En fait, plus un jeu est gros, plus il coûte cher, moins il est innovant (facteur de risque et ROI). Une fois le produit en main c'est souvent une déception. Bref, avec ces titres j'en ai déjà marre avant même d'avoir commence à jouer; au final j'ai arrêté depuis des années.
En contrepartie, je porte mon attention sur tous les autres produits qui passent un peu inaperçu: je vais rentrer dans un magasin de jeu, ou regarder sur le net, et je vais me dire "tiens, ce truc ne me dit rien, mais je testerais bien" sur une question de "feeling" (ce n'est pas pour autant un achat impulsif). De plus, les prix sont souvent plus attractifs (surtout en UK, où pour £20 on peut repartir avec 3 jeux qui n'ont que quelques mois); je me retrouve avec une collection de jeux assez hétéroclite: certains sont mauvais, certains possèdent des atouts, et un petit nombre sont vraiment bons (innovants, bien réalisés, prenants, correctement dosés en terme de difficulté, etc.). Souvent, je vais y jouer quelques heures ou jours, le temps de découvrir les mécaniques de jeu et innovation du produit, et je passerai à autre chose, pour ne retenir que quelques concepts clefs. Rarement, je vais rester sur le jeu et le finir.
Pour faire simple, ce que j'aime c'est surtout la découverte; on a parfois de très bonnes surprises, derrière des "petites" productions complètement inconnues (là encore, même facteur de risque et ROI qui entre en jeu).
Creajol : Une idée de jeu qui te fait rêver ?
Un bon mix action/RPG fortement scénarisé. Un jeu avec des éléments de développement du personnage, gestion d'inventaire, scénario immersif, et atmosphère caractéristique. Peu nombreux sont les jeux qui rentrent dans ce créneau; on peut citer Deux Ex et System Shock 2. Un produit qui combine ces mécaniques, au gout du jour, ça m'irait bien! Pas besoin de chercher à innover sur tous les fronts, ou se lancer dans des projets pharaoniques: quelques concepts bien huilés, des touches novatrices, et une réalisation impeccable. Voilà.
SS2 est certainement le jeu auquel j'ai le plus joué, d'ailleurs; je dois bien le re-finir au moins une fois par an...
Creajol : Ton moment préféré dans la production d'un jeu ?
Peu avant et peu après la disponibilité du produit en magasin. Dans le JV on a la chance de toucher les grands publics, ça veut dire un lien particulier avec les joueurs. Avant la release, on trouve cette effervescence: des questionnements, des hypothèses, des attentes, etc. Et puis après, les premières semaines de vente, on a tous ce retour d'information (pas forcement directement, mais simplement en surfant sur des sites de jeux vidéos): les tests de la presse, les critiques des joueurs, etc. C'est pas comme si, par exemple, on faisait des logiciels de cartes a puce dont personne n'a connaissance en dehors du milieu: le JV est un loisir avec une large communauté, et ça génère un échange particulier. Assez peu de domaines, je pense, peuvent prétendre à cela.
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