Portrait d'un chef de projet, Fabrice Cambounet

Fabrice Cambounet, chef de projet dans l'industrie depuis plus de 12 ans, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !

" Cultiver la passion, ça revient à développer des jeux avec des amis, pour se faire plaisir, pour tenter de réaliser le jeu de ses rêves. Ce n’est pas grave si ça ne va pas au bout, c’est le chemin qui est formateur. "

Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !

Salut à toi :)



Creajol : Qui es tu ?

Fabrice Cambounet, j’ai bientôt 36 ans, dont plus de onze dans le jeu vidéo – soit presque toute mon expérience professionnelle, sauf quelques petites semaines au départ chez des prestataires web. Je vis et travaille à Paris depuis tout ce temps, bien que je passe quand même le périph tous les jours pour voir ce qu’il se passe autour :)

[NdCreajol: Ce portrait fait partie des interviews publiées début 2009 sur le blog d'origine, et par la suite migrées sur le site dédié Creajol. Par conséquent, il s'agit plutôt d'une retrospective !]



Creajol : En quoi consiste ton métier ?

J’ai toujours travaillé dans le développement de jeux, à des postes différents : game designer, chef de projet, producer, et dans des sociétés diverses : petit / gros développeur, petit / gros éditeur. Pour l’essentiel, je suis en charge du développement ou du suivi de projets, en général sur PC, mais aussi sur consoles portables, ou, plus anciennement, sur consoles de salon.

En tant que producer, j’ai suivi des développements réalisés dans d’autres sociétés pour l’éditeur chez qui je travaillais : une société indépendante est sous contrat avec l’éditeur, et réalise un jeu en échange d’un paiement (grosso modo). Mon travail dans ce cas consiste à m’assurer de la bonne avancée du travail, en termes de qualité et de délais, et à suivre le budget (notamment à valider les paiements, ce qui permet de voir passer des virements avec pas mal de zéros :)). Ça revient à être en contact fréquemment avec le studio de développement, à aller le visiter (en russie, ukraine, allemagne, angleterre…et même en france !), à tester les versions reçues et à demander des précisions ou améliorations.

Le poste de chef de projet, que j’occupe actuellement, est l’équivalent de celui du producer, mais de l’autre côté du miroir, avec l’équipe de développement. C’est beaucoup plus du management d’équipe, évidemment, mais toujours du suivi de qualité et délai ainsi que de budget. Il faut garder en tête l’objectif à long terme (la sortie commerciale), s’assurer que la vision de gameplay se construit bien dans les faits, et que l’équipe dispose de tous les moyens nécessaires à son travail.



Creajol :  Est ce qu'il s'agit d'une passion ?

Le jeu vidéo en général, oui ! Je joue toujours très fréquemment, sur PC ou console. Je craignais beaucoup, en entrant dans ce domaine, de perdre justement la passion que j’avais depuis toujours (depuis les premières consoles atari et le zx81). Cela ne s’est pas du tout produit. Je pense que c’est dû au renouvellement constant de ce domaine : les supports varient en permanence, les tendances également, et on est toujours en train de pousser la frontière du secteur, ou de voir les concurrents le faire, ce qui pousse à vouloir les rattraper. :)

Cela vient également de la très grande variété de mon poste, que ce soit en gestion d’équipe ou en production plus éloignée : je n’ai jamais eu deux journées de travail similaires en onze ans. Il y a toujours quelque chose de nouveau à faire, ou sous un autre angle. Les priorités évoluent avec l’avancement des projets, et sont différentes selon le support cible, les joueurs concernés, l’ambition, etc. Il faut donc s’adapter en permanence. Il faut également être capable de lever la tête du guidon, afin de ne pas foncer tête baissée dans le mur. Ca revient notamment à toujours savoir ce qui est important, ce qui est urgent, et ce qui peut attendre. Il faut aussi savoir faire des arbitrages, voire des négociations, afin d’avancer au mieux dans la direction voulue. Tous ces éléments contribuent à un poste qui est également passionnant par lui-même.



Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?

Je suis déjà très content de ma situation. :) Mon travail me plait énormément, j’ai la possibilité de développer des projets auxquels je tiens, sur un secteur innovant, de recruter et travailler avec des gens qualifiés, j’ai beaucoup d’autonomie et de prises de décisions, et je suis bien payé. :) Je ne peux que souhaiter être toujours satisfait. :)



Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?

Que c’est bien compréhensible ! Quand j’ai postulé pour travailler dans le jeu vidéo, je l’ai fait à l’époque (en 97) un peu par hasard. Je ne savais pas que des gens étaient payés pour développer des jeux vidéos ! :) Ça me semblait incongru de recevoir de l’argent pour faire ça – et je ne connaissais pas du tout l’envers du décor, à savoir une industrie déjà assez structurée, avec des sociétés de grande taille.

Aujourd’hui, je pense que ceux qui rêvent de travailler dans ce milieu ont plus de facilités pour savoir comment ça fonctionne, qui fait quoi et où, et quels sont les postes existants - à l’époque, on avait à peine internet ;) ! De plus, des écoles spécialisées se sont ouvertes depuis quelques années.

Mon conseil est de cultiver cette passion, en s’informant sur tous ces points, mais aussi en jouant au plus de jeux possibles, quelque soit le genre, afin de bien savoir ce qui est fait, et de pouvoir en tirer des enseignements. De plus, cultiver la passion, ça revient à développer des jeux avec des amis, pour se faire plaisir, pour tenter de réaliser le jeu de ses rêves. Ce n’est pas grave si ça ne va pas au bout, c’est le chemin qui est formateur. C’est comme ça qu’on découvre le mieux les arcanes du développement.



Creajol : Tu travailles beaucoup ?

De par mon poste, c’est très variable. Le développement d’un jeu suit des phases : écriture du concept, développement de prototypes, construction d’une maquette complète, production en masse, débugage, sortie commerciale, support après lancement. Il y a des moments de rush très forts à certaines étapes, et ce de plus en plus souvent en s’approchant de la version finale. Pour certaines présentations clés aux décideurs de l’entreprise, il y a aussi souvent beaucoup de travail de préparation en amont. Inversement, quand la machine est lancée, que les objectifs sont précisés, le suivi peut être beaucoup plus simple. C’est alors le moment de relever la tête, de s’assurer qu’on est toujours dans la bonne direction, et de tester ce que font les concurrents. :)



Creajol : Qu'est ce que tu attends d'un entretien d'embauche avec un candidat ?

Je regarde beaucoup de choses lors d’un entretien. La passion, l’intérêt pour le secteur sont évidemment des points clés. Pour soutenir ce sujet, la connaissance des jeux, la possibilité de questionner les points forts, les points faibles, les innovations, sont intéressants, pas seulement pour un game designer. Ensuite, les projets personnels apportent un plus également, là aussi quelque soit le poste recherché, il y a moyen de s’exercer et d’apprendre énormément par ce biais. Je pense que c’est facilement aussi important que la qualité des études.

Autre chose, la confiance en soi, la lucidité, l’honnêteté sont pour moi essentiels. Avec dix ans d’expérience ou pas du tout, on doit être capable de savoir ce que l’on a appris, de pouvoir le mettre en perspective, de situer ce qu’on a apporté ou ce qu’on peut apporter à un projet. La tentation, pour quelqu’un d’extérieur au secteur, est souvent de penser que l’on va tout révolutionner par son arrivée. Bien que cela soit tout à fait possible, avec des idées ou un point de vue totalement nouveaux, ce n’est généralement pas le cas. Il faut savoir reconnaitre que l’on apprends tous les jours, et ce d’autant plus quand on démarre.

Enfin, et c’est bien sûr plus facile à dire quand on a déjà un boulot dans le jeu vidéo, j’aime quand un candidat ne mise pas tout sur un seul entretien. J’en ai passé beaucoup avant de commencer à travailler, beaucoup en cours de route : la vie active est riche et variée, et ça ne marche pas toujours comme prévu, ni du premier coup. Il faut donc s’entrainer, apprendre, relancer les recruteurs et essayer de savoir pourquoi ils ne retiennent pas une candidature, et s’en servir pour faire mieux.



Creajol : Une idée de jeu qui te fait rêver ?

J’ai écrit beaucoup de concepts que j’aimerais mettre en pratique. :) Un de ceux là est un jeu d’aventure basé sur la série « Tschaï » de Jack Vance. J’aimerais développer, et jouer !, sur une planète entièrement accessible à la GTA, avec des zones d’attrait multiples, des villes, des déserts, des océans... Pouvoir me balader dans cet univers riche en couleurs, chaud, dangereux, excitant, rencontrer des amis, constituer un groupe, aller au secours de certains d’entre eux… De plus, cet univers pourrait être joué à plusieurs selon la séquence, avec la possibilité de joindre n’importe quel groupe en action, l’équivalent d’instances parallèles. Mais c’est un projet qui coûterait assez cher à développer. :)



Creajol : Le jeu vidéo en général, qu'est ce que ça apporte ?

C’est un loisir extrêmement positif. L’interactivité du medium et la variété des jeux disponibles permettent à tout un chacun de s’amuser, se distraire, se challenger, s’enthousiasmer, se concurrencer, se faire peur, s’émerveiller… selon son envie. On peut jouer seul, au moment où on veut, ou à plusieurs, autour d’un écran de télé ou à distance, avec des amis ou des inconnus. Ça permet de constituer des groupes autour d’un thème, rencontrer des gens, échanger… Je pense que c’est un art au même titre que le cinéma, par exemple, avec la projection vers des millions de personnes, et la construction d’une culture qui relie tous les joueurs.



Creajol : Un avis sur l'avenir du jeu vidéo ?

Je pense que beaucoup de révolutions vont encore permettre d’élargir l’accessibilité des jeux et le public intéressé, comme les webcam 3D, successeurs de l’eye toy et de la wii. Il ne sera même plus nécessaires de manipuler une manette pour jouer. Ce qu’on a pu voir dans « minority report » sera dépassé dans quelques années ! Les univers persistants, le contenu généré par les joueurs, la plateforme web, les téléphones multimédia, les écrans tactiles, et d’autres sujets, vont continuer d’ouvrir les possibilités de développement. La très grande diversité des jeux et des publics va donc continuer à se multiplier ! :)

Source : http://fr.linkedin.com/in/fcambounet

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