Portrait d'un directeur artistique, Benoît Ferrière

Benoît Ferrière, gérant & directeur artistique d'une société de jeu vidéo en plus d'être senior artist 2D/3D freelance, a bien voulu répondre à nos questions sur ses métiers. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !

" Je suis ébloui à la vision d'une œuvre artistique en mouvement et ne trouve plus mes mots pendant plus de 30 minutes en croisant une geisha/geiko dans le quartier des fleurs au Gyon à Kyoto. J'ai cette sensation que tout cet art est si bénéfique et si enrichissant que je ne peux faire autre chose que de tenter chaque jour de m'améliorer, pour que peut être, dans quelques années, j'arrive moi aussi à émouvoir certaines personnes... "

Creajol : Bonjour, merci de nous accorder ces quelques pensées !

Merci à toi ! C'est avec grand plaisir.



Creajol : Qui es tu ?

Je m'appelle Benoit FERRIERE aka Mirof, je suis gérant / directeur artistique d'une société de jeu vidéo et senior artist 2D/3D Freelance.

Creajol : En quoi consiste ton métier ?

En tant que freelance, je suis engagé par différentes sociétés internationales dans le monde du jeu vidéo ou du cinéma pour réaliser diverses missions telles que la création de la direction artistique d'un projet, la réalisation d'artworks promotionnels pour un jeu, la réalisation de fakes screenshots (il s'agit de réaliser des artworks représentant ce à quoi doit ressembler le jeu une fois totalement finalisé) et bien d'autres choses passionnantes encore.

Ce qui est vraiment le plus passionnant dans le statut de freelance, c'est la possibilité d'alterner chaque jour d'une mission à une autre en étant totalement libre de ses choix, des clients pour lesquels nous voulons travailler ou de ses horaires, du moment que la mission est achevée en temps en heure.

Il n'est pas rare, en effet, que dans la même semaine je puisse ainsi alterner entre la réalisation d'une pochette pour un jeu vidéo puis ensuite travailler sur les interfaces d'un tout autre projet pour en fin de semaine m'atteler à la création de décors pour un film de cinéma.

Je n'ai aucune idée de si cela peut passionner les autres « artistes », mais de mon point de vue, c'est totalement passionnant. Je profite chaque jour de cette impression de liberté et de créativité sans limite qu'un autre métier ne pourrait me permettre. Je ne dois pas uniquement inventer des univers pour mes clients, je me réinvente moi même afin qu'un jour j'arrive à créer des émotions chez les gens qui verront mes travaux. Grâce à mes clients et partenaires je peux ainsi avoir la chance de voir se réaliser à grande échelle mes propres univers ou de participer aux univers des autres.

En tant que gérant/DA d'une société de jeu vidéo dans laquelle nous faisons principalement de la sous-traitance, je suis responsable du bonheur de mon équipe et de mes clients. Je dois ainsi faire en sorte de répondre à des critères exigeants voir agressifs de qualité et de temps pour répondre au plus haut point aux besoins de mes clients, tout en pensant au bien être et à l'émulation de mon équipe.

Interview Creajol - Illustration de Benoît Ferrière


Ainsi, sans compter le salaire qui est important bien entendu, il faut attribuer des projets qui ressemblent aux envies personnelles des artistes afin de garder une émulation constante. Pour rester dans les lieux communs, je ne vais pas donner une mission sur un projet de type horreur réaliste à un graphiste orienté décors de dessin animé pour enfant. Et ce, pas uniquement pour une question de style, car dans les fait, un senior expérimenté peut à peut prêt tout faire dans une certaine tranche de rendu, mais tout simplement pour que son plaisir à réaliser la mission se ressente et transparaisse dans le résultat de son travail. Ainsi nous obtenons des clients heureux et une équipe écoutée qui produit de par ce fait des travaux de grande qualité.

Mes journées en tant que directeur artistique de la société, sont ainsi divisés en période de réunion, de planning et de checks mais aussi de création dans le choix du rendu et des atmosphère des projets. C'est tout aussi passionnant que d'être freelance, voir plus, car ici l'on ajoute le côté humain d'une équipe complète qui travaille ensemble. En tant que freelance, vous êtes souvent seul face à un responsable de la société cliente, tandis qu'avec sa propre équipe, vous créez l'ambiance de travail qui vous ressemble, vous fixez vos propres envies, et vous vous améliorez en profitant de savoir-faire de chacun. J'apprends bien plus en tant que DA qu'en tant que freelance grâce à mon équipe.

Nos artistes viennent du monde entier, et la vision créative d'un américain, d'un français, d'un israélien ou d'un suèdois étant totalement différente, chacun de nous évolue énormément. Et c'est une grande fierté que de travaillez avec chacun d'entre eux.

Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?

Je me suis rendu compte très tôt que la seule manière de me lever chaque jour, est la force de la passion.
Je suis incapable de travailler autrement, et je suis incapable de me perfectionner dans quelque chose qui ne me passionne pas. Artistiquement, je suis une sorte de boulimique. Je dévore chaque instant comme une nourriture qui éveille mes yeux.

Quand je marche je me surprends à regarder le tracé des nuages, les reflets dans l'eau sur la plage, la manière dont le vent secoue lentement les fleurs du voisin, … j'écoute énormément de musique, je regarde au moins une centaine de tableaux ou d'illustrations par jour, je m'émeus devant chaque animation réalisé par un grand maitre tel que miyasaki, je suis ébloui à la vision d'une œuvre artistique en mouvement et ne trouve plus mes mots pendant plus de 30 minutes en croisant une geisha/geiko dans le quartier des fleurs au Gyon à Kyoto.

J'ai cette sensation que tout cet art est si bénéfique et si enrichissant que je ne peux faire autre chose que de tenter chaque jour de m'améliorer, pour que peut être, dans quelques années, j'arrive moi aussi à émouvoir certaines personnes...



Interview Creajol - Illustration de Benoît Ferrière



Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?

Incontestablement de travailler sur un projet à vocation humaine.
J'aimerais participer à la création d'un projet qui apporterait quelque chose, qui aurait une portée émotionnelle ou philosophique. Qui pendant que vous seriez en face de ce projet, que ce soit avec ou sans un PAD en main, vous ayez l'impression de découvrir quelque chose, d'être pris à la gorge sans pouvoir faire autre chose que de respirer en silence, de ressentir avec sincérité la participation à une aventure qui ne serait pas uniquement virtuelle, de vous sentir vivant.

A plus petite échelle, je suis déjà extrêmement heureux de pouvoir réaliser des projets qui apportent de bons moments à une petite portion de personnes. Que ce soit en jouant avec son meilleur ami, en regardant un film avec sa moitié, de lire une BD seul avec ses pensées...

Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?

Que cette industrie peut offrir le meilleur comme le pire.
Le meilleur vous le connaissez... pour le pire, certains graphistes (mais aussi tous les autres domaines tels que les programmeurs, musiciens, GD, LD, animateurs, etc.) sont mal payés, mal considérés voire exploités. De nombreux professionnels se bradent pour signer un projet minable histoire d'entrer dans le milieu. Ou tout simplement subsister car ils ne trouvent rien et pour la plupart quittent les régions pour s'installer à Paris car il est largement plus facile de trouver du travail là bas. J'ai l'impression que ça s'arrange un peu mais je me souviens il y a 5/6 ans que pas mal de pros du jeu vidéo faisait des tonnes d'heures sup pour finir les rushs à temps sans la moindre compensation financière...

Alors ne croyez pas que cela soit normal. Ce qui est normal c'est de travailler dur, en autodidacte ou dans des formations de qualité (à bas les écoles privées pourries), assez dur pour avoir un niveau professionnel (un vrai niveau professionnel, compétitif par rapport aux autres personnes sur le marché) dans son domaine et avoir un bon background (projets, book, etc.). Apprendre aussi les ficelles de cette industrie, et comprendre au moins un peu chaque métier qui la compose. Pour ensuite aller chercher un emploi qui sera payé à son juste prix (junior, normal, senior), être respecté pour son travail, que les heures supplémentaires soit un choix rémunérés et que vous soyez payés en temps et en heure chaque mois ou à chacune de vos missions. Car dans les faits c'est comme ça, et rien ni personne ne doit vous mettre dans le crâne que c'est normal d'être un demi-esclave tout simplement parce que votre boulot vous passionne. Un métier / passion, c'est un métier élitiste. Car la passion ça met en face de vous des brutes acharnées qui adorent bosser sans relâche. Le challenge est donc dix fois plus grand, et il est normal qu'il soit donc bien payé.



Interview Creajol - Illustration de Benoît Ferrière



Je dirais également que rencontrer du monde est important et que les CV ne servent quasiment à rien. Je me moque totalement des milliards de diplômes que le candidat aura si son travail en tant que graphiste 2D ou en tant que traducteur ou en tant que game designer est nul. La seule chose qui compte c'est que vous soyez bon et compétitif.

Ne perdez pas non plus espoir au départ, il faut forcer les professionnels et différents studios à vous connaître (mailing, stage, rencontre, salon, etc.) et prouvez vos qualités pendant longtemps avant qu'une place ne se libère.

N'hésitez pas à bouger si vous voulez quelque chose rapidement. Ou gardez espoir si vous ne voulez pas. J'ai personnellement choisi de rester à Ajaccio (Corse). J'étais donc loin de la capitale et je suis un autodidacte complet. J'ai décidé de ne pas écouter les mises en garde que l'on me faisait, et j'ai finalement réussi à obtenir le statut qui me correspond réellement. Comme quoi. :)
Ce n'est pas parcequ'il y a très peu de place en télétravail qu'il n'y en a aucune par exemple, et même s'il y en avait aucune, pourquoi ne seriez-vous pas le premier finalement ? Just do it comme on dit.

Creajol : Comment est ce que tu crées ?

De la bonne musique, un thé, un bout de papier pour noter mes idées (ça m'aide à ne pas me bloquer sur de mauvaises pistes), un bon PC, un bon fauteuil, une Cintiq 21UX, l'émulation des autres (équipe, forums, sites, blogs) et tout est là. Le reste c'est juste du travail, de l'expérience, de l'entraînement technique mêlé avec la vie (expériences, regard, découverte, etc.) et les besoins du projet.


Interview Creajol - Illustration de Benoît Ferrière


Creajol : Quels sont tes meilleurs outils de travail ?

Toute la suite Adobe/Macromédia (Photoshop surtout), Open office, Opera/mozilla, Msn, iPhone (pour les déplacements), Maya, Zbrush, Thunderbird, Cintiq.

Creajol :  Le jeu vidéo en général, qu'est ce que ça apporte ?

Petit, vers mes 4 ans, nous avons eu un Atari. Je me souviens de magnifiques moments avec ma famille à jouer à Arkanoid, rick & dangerous, monkey island, etc...
Puis, plus tard, une Nintendo, je me souviens qu'un de mes camarades de classe venait tous les matins à 6h pour que nous jouions ensemble jusqu'à l'heure de partir à l'école. D'autres venaient le soir ou le week end. Puis une N64, je me souviens que mon meilleur ami, atteint d'une maladie génétique, jouait avec moi et que nous passions des moments merveilleux.

Le jeu vidéo c'est ça, des souvenirs géniaux avec des amis où on a ri ensemble, partagé tout type d'émotions, cherché à résoudre des énigmes, montré son courage, combattu ensemble ou l'un contre l'autre, ... ce sont également des moments seul où l'on peut s'évader, découvrir, apprendre, profiter, lire ou voir des choses étonnantes, intelligentes, drôles, émouvantes ou effrayantes.

Le jeu vidéo c'est une occupation. Une occupation qui permet à certaines personnes (dont ceux qui n'ont pas la possibilité d'en avoir beaucoup d'autres) de vivre des vrais petits moments de bonheur, d'amitié, de découverte et d'aventure.

Le jeu vidéo c'est un éveil à la créativité et au partage. Très peu de joueurs sont seuls, la plupart des enfants et des plus grands comme nous créent des réseaux sociaux (à l'école, dans le travail, par internet, etc.) et partagent ensemble, jouent ensemble.

Le jeu vidéo peut apporter largement autant voire plus que la littérature ou le cinéma et ce, sur tous les plans selon moi. 



Interview Creajol - Illustration de Benoît Ferrière


Creajol : Un avis sur l'avenir du jeu vidéo ?

Je pense que les éditeurs, les imprimeurs et les distributeurs vont entrer dans une période de grosses difficultés à cause des nouvelles méthodes de distribution (téléchargement) qui vont ouvrir une nouvelle porte pour les studios indépendants. Et en tant que studio, je répondrais que ce n'est pas un mal. La délocalisation va augmenter avec la Chine qui va devenir une des grosses puissances du jeu vidéo.

La seule et unique raison d'être du jeu vidéo en France est d'aller vers le haut de gamme qualitatif et de sauvegarder sa french-touch. Car comme toutes les autres industries, nous ne pourront gagner sur les coûts et donc la quantité en France face à des pays comme la Chine qui se professionnalisent petit à petit tout en ayant des coûts de main d'œuvre extrêmement inférieurs. Nous pouvons par contre largement gagner sur le plan de la qualité (graphique par exemple avec nos nombreux talents de l'hexagone) car les personnes de talent et expérimentées veulent un salaire à la hauteur de leur travail. Ce qu'ils ne trouveront pas là bas.

Le business du jeu vidéo sur téléphone mobile va sûrement s'accélérer (personne n'a pu passer à côté de tous les éditeurs et studios qui développent sur iPhone actuellement....).

Et enfin, les sous-traitants obtiendront de plus en plus de travail face à la taille et la définition des jeux next-gen qui ne pourront être assurer totalement en interne. Je pense qu'on est encore très loin du photo-réalisme, et que certains studios ne s'arrêteront pas tant que cela ne sera pas atteint. Ils trouveront simplement des méthodes de financements encore plus importantes comme peut le faire le cinéma. 

Creajol : Ton moment préféré dans la production d'un jeu ?

La phase papier, où l'on imagine le projet et que tout est permis (ou presque). Et en deuxième lieu, la sortie du jeu. Le plaisir du travail accompli.

Source : http://mirof-somepixels.blogspot.com/

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