Portrait d'un lead programmer, Sylvain Glaize

Sylvain, dans l'industrie depuis 15 ans et actuellement lead programmer, a bien voulu répondre à nos questions sur son métier. Sylvain s'étant prêté au jeu trois ans plus tôt, vous retrouverez ici son témoignage. Bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !

" Mon travail il y a 15 ans et celui de maintenant n’a rien à voir. On ne faisait pas un jeu de la même manière, je ne travaillais pas sur les mêmes jeux, sur les mêmes consoles. On ne programmait pas de la même manière, les méthodes de gestion de projet étaient différentes. "

Creajol : Tu nous as confié ton portrait il y a quelques années, merci pour ce nouvel aperçu !

Bonjour. Le temps passe vite !



Creajol : Quel métier exerces-tu actuellement ?

Je suis Lead Programmer sur un jeu à forte visibilité. J’ai en charge l’équipe « technique » constituée de programmeurs moteur, programmeurs outils et data managers / build engineers.

Au délà du projet, je m’occupe de formation et je m’intéresse à l’évolution des métiers.



Creajol : Tu peux revenir sur ton parcours durant ces trois ans ?

À la fin de la production précédente, j’ai eu l’opportunité de passer sur un projet complètement différent. D’un jeu ciblé « hard core », je suis passé sur un jeu grand public. Après une hésitation dû à la méconnaissance du projet, j’ai découvert un projet très intéressant, plein de challenges insoupçonnés.

J’ai eu aussi l’incroyable opportunité de pouvoir mener sur ce projet un changement technique conséquent, puisqu’il s’agissait de sortir le nouvel opus conjointement au changement de moteur, en moins d’un an.



Creajol : Si tu as relu ta précédente interview, qu'est ce qui a changé pour toi ?

Pas grand chose. Des progressions professionnelles et personnelles, mais dans le fond, ce que je disais il y a trois ans est toujours valable.



Creajol : A présent, que penses-tu du milieu du jeu vidéo ?

Ce secteur est toujours aussi intéressant. Toujours aussi mobile, toujours aussi en recherche de renouvellement. Les commentaires désabusés affirment souvent qu’il n’y a plus rien de neuf, que tout a été inventé, que c’était mieux avant. J’ai même quelque part un article de 1982 qui l’affirme.

Pour moi, ces avis viennent de joueurs ou d’observateurs qui ont passé le stade de la nouveauté, qui ont trouvé dans le jeu vidéo ce qui les intéressait, mais qui n’ont pas trouvé comment évoluer vers de nouvelles expériences.

Le jeu change, le jeu évolue. Certains joueurs non.

Ces dernières années, on assiste à l’évolution des plateformes de distribution, des jeux indépendants de qualité en progression constante, du jeu mobile qui se diversifie, de remake, du retro, des relectures. On s’est souvent posé la question de jeux vidéo en tant qu’art tout au long de son existence. Si j’ai longtemps hésité sur ce sujet, je pense que ces dernières années ont révélé que oui, certaines personnes et studio pouvaient se servir de ce canal en tant qu’artistes.

Avec une autre face, un certain style de jeu se spécialise dans le jeu de consommation rapide fermé et addictif. Ce n’est pas la face que j’aime, ni qui me fait plaisir, mais elle fait partie de l’évolution du jeu vidéo.



Creajol : Tu travailles beaucoup ?

Je pense que oui. Gérer un projet informatique avec beaucoup d’interactions avec des métiers de toute sorte est gratifiant, et c’est aussi complexe.

L’informatique appliquée aux jeux vidéo à cela de particulier qu’elle est anecdotique. Vous trouverez des linéaires de librairies et de ressources en ligne pour expliquer comment faire des applications de toute sorte, gérer des projets, livrer des produits. Très peu se réfèrent ou prennent en compte l’environnement tout particulier du jeu vidéo, encore moins dans une grande boite.

Comme beaucoup d’informaticiens, je travaille beaucoup à essayer de travailler moins. Ou en tout cas plus efficacement, pour monter la qualité de ce que je produits.

Alors il faut inventer, s’inspirer des autres secteurs, adapter. Comprendre les autres métiers, trouver des manières de communiquer, de se comprendre.

Le secteur bouge aussi beaucoup, et il faut continuellement se mettre à jour tant techniquement que vidéoludiquement.



Creajol : Ton travail et tes compétences évoluent avec le temps ?

Oui, et heureusement. Cela fait un peu plus de 15 ans maintenant que je « travaille dans le jeu vidéo », phrase un peu creuse mais une des rares qui puisse donner un aperçu de ce que je fais aux personnes complètement en dehors du secteur.

Mon travail il y a 15 ans et celui de maintenant n’a rien à voir. On ne faisait pas un jeu de la même manière, je ne travaillais pas sur les mêmes jeux, sur les mêmes consoles. On ne programmait pas de la même manière, les méthodes de gestion de projet étaient différentes.

Cela fait parti de l’intérêt du secteur. Il se renouvelle et il a de quoi progresser.

J’ai aussi la chance d’être dans une entreprise qui mise sur ses employés et leur donne les moyens de se développer. J’ai aujourd’hui des compétences techniques, manageriale ou d’enseignement que je n’imaginais pas il y a 15 ans (tout en pensant naïvement qu’il serait facile de les obtenir).



Creajol : Qu'est ce que tu attends de tes collègues ?

Tout d’abord d’aimer ce qu’ils font. Et d’aimer le faire bien.

Que ces collègues soient programmeurs, graphistes, game designer, producer, RH et j’en passe, j’attends d’eux qu’ils aiment leur métier, qu’ils aient envie de le faire progresser. J’attends d’eux qu’ils aiment travailler avec rigueur, avec l’amour du travail bien fait. Qu’ils puissent aussi reconnaître la valeur du travail bien fait dans une branche qui n’est pas la leur.

Il est important pour moi que quelqu’un réfléchisse à la nature de son métier. Qu’il comprenne ce que son travail signifie, comment il fonctionne et s’articule avec ceux de ses collègues.

J’attends aussi un esprit positif, une envie d’aller de l’avant.



Creajol : Qu'est ce que tu attends d'un entretien d'embauche avec un candidat ?

Lorsque j’étudie un CV, je regarde tout d’abord les projets personnels à la recherche de jeux vidéos ou d’expériences similaires. Il est d’ailleurs très dommage que certaines écoles déconseillent aux étudiants de mentionner les jeux vidéos dans leur CV, en omettant de préciser d’en faire un spécifique pour les entreprises concernées.

Ensuite, je cherche s’il y a une mention d’objectif, que ce soit dans le CV ou dans une lettre de motivation. Quel est le but du candidat ?

Puis le reste. Quelques mots clés peuvent attirer mon regard dans les compétences ou dans les hobbies.

Lors de l’entretient, les attentes vont différer suivant si le candidat vient pour un stage ou pour un poste d’expert dans une branche particulière, forcément. Mais quel qu’il soit, je dois voir chez le candidat les signes de ce que j’attends chez un collègue (voir question précédente).

Le candidat doit me donner envie de travailler avec lui. Il doit pouvoir répondre à des questions techniques en rapport avec ce que le CV laisse supposer. Il doit être clair dans ses réponses et franc lorsqu’il ne sait pas. Je dois aussi sentir qu’il aime ce qu’il fait et qu’il a réfléchi à son métier.

Même pour un stagiaire. C’est très important pour moi. Un programmeur n’est pas quelqu’un qui enchaîne des lignes de code. Il faut qu’il ait une raison de le faire.



Creajol : Ton moment préféré dans la production d'un jeu ?

Chaque moment dans la création d’un jeu apporte ses caractéristiques et je n’en préfère pas l’une ou l’autre.

La conception est le moment où tout est possible. On discute, on essaie, on planifie. On refait un peu le monde et tout les signaux sont au vert. Ça bouillonne. L’équipe est fraîche.

La pré-production est le passage où l’on valide techniquement les choix. La pression monte un peu sur la technique car les outils doivent être prêts. Il y a beaucoup d’échanges entre les différents corps de métiers pour transformer les grandes idées de la conception en réalités. On peut voir des premières ébauches de niveau et ça motive. On pense avoir écarté la plupart des risques, tout va bien.

En production, le rythme s’intensifie. On doit souvent rattraper le retard pris en technique alors que les artistes et designer se mettent à foncer, les équipes grossissent et il faut pouvoir les accueillir, les former. On doit aussi être réactif à tous les problèmes remontés qui étaient passés inaperçus en pré-production. Il faut s’adapter, être malin, garder son sang froid. Le jeu se développe et les premiers résultats payent les efforts.

En debug, pour la technique, le rythme s’intensifie encore. Il faut finaliser, il faut être carré. Il faut aussi faire la transition avec la fin de production et ses choix douloureux d’abandon de certaines parties du jeu qui ne rentrent pas, ou qui n’ont pas la qualité voulue. C’est une phase parfois douloureuse, mais aussi une phase de moments (certains diront de nuits) mémorables, de désespoir face au bug ingérable, mais aussi de joies intenses lorsque, sur le fil, une solution est trouvée. C’est une phase pleine d’émotions.

En aparté, il y a aussi la phase d’arrêt du projet en court de route. C’est la phase douloureuse sans contrepartie. Un moral en berne, une équipe qui se dissous, des mois d’efforts et d’espoirs enterrés. Je n’aime pas cette phase. Je pense que personne ne l’aime. Je l’ai toujours vécue avec une pointe de positif cependant, car chaque projet fait progresser, chaque échec est un apprentissage. Le jeu est peut-être mort, mais l’expérience est acquise.

Je considère qu’il faut avoir vécu toutes ces phases, y compris la dernière, pour commencer à comprendre ce qu’est la production d’un jeu vidéo.

Source : http://www.puupuu.org

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