Portrait d'une game designer, Ebene Zolli

Je suis Ebene Zolli, game designer et responsable de Creajol. C'est une interview un peu spéciale, puisque je vais moi-même répondre à mes questions sur mon métier. Bonne lecture et bienvenue dans la Série des Portraits de Creajol !

" Creajol est un site qui demande une mise à nu personnelle de ses interviewés, et ce n'est pas une chose facile quand on ignore qui se cache derrière les questions. J'ai donc décidé de me présenter; et j'espère pouvoir m'acquitter de cette tâche aussi bien que mes prédécesseurs "

Creajol : Bonjour !

Enchantée ! Voici l'occasion d'expliquer ce portrait un peu particulier, puisque je suis à la fois la personne qui pose les questions et celle qui y réponds. Cette auto-interview m'a été suggérée pour la raison suivante :

Jusqu'ici, nos portraits ont été obtenus de trois façons différentes. Par contact direct, c'est à dire que certains interviewés me connaissent déjà et me font donc confiance; par recommandation, autrement dit ces premiers interviewés ont invités leurs propres connaissances à me contacter; et par initiative personnelle, ce qui signifie que les interviewés sont d'eux-même venus me proposer leur portrait.

Pour ce troisième mois d'existence, les choses évoluent : nous nous adressons à un plus grand nombre de personnes, d'horizons divers, et dans des circonstances variées (par exemple, au Festival du Jeu Vidéo 2010). Or Creajol est un site qui demande une mise à nu personnelle de ses interviewés, et ce n'est pas une chose facile quand on ignore qui se cache derrière les questions. J'ai donc décidé de me présenter; et j'espère pouvoir m'acquitter de cette tâche aussi bien que mes prédécesseurs !


Creajol : Qui es tu ?

Je suis Ebene Zolli, j'ai 25 ans et je suis game designer. En pratique, je suis fascinée par les mécanismes multi-joueurs et par l'accessibilité des jeux (pour moi, un jeu web jouable directement, c'est du bonheur !). J'ai donc tout fait, depuis que j'ai compris que les jeux-vidéo pouvaient être mon métier, pour me rapprocher de ces deux domaines.

Après un cursus d'Arts Appliqués j'ai tenu plusieurs rôles : autodidacte et bénévole (notamment sur Creajol), puis level designer / builder, game designer, et je suis actuellement une étrange hybride community manager / game designer !


Creajol : En quoi consiste ton métier ?

Au sens large, étant issue d'une formation générale de designer, je considère que mon métier est de concevoir "des réponses créatives et pertinentes à des besoins exprimés". Ma touche personnelle est d'essayer d'apporter des réponses ludiques et sociales : je ne suis donc pas devenue designer d'objets, ou de communication, ou d'espace, mais game designer. Je conçois des jeux vidéo, et quand c'est possible, des jeux vidéo à mécanismes multi-joueurs, sociaux.

J'ouvre une parenthèse à ce sujet. Il est un peu difficile de parler de "jeux sociaux" en ce moment. La plupart des gens pensent aux jeux de fermes sur Facebook, qui sont en fait à mon sens plutôt des jeux "viraux" : les réseaux d'amis sont utilisés pour gagner de nouveaux joueurs de façon exponentielle; mais le coté relationnel n'y est pas vraiment exploité. Pour l'instant, il faut donc encore préciser à quoi on pense quand on parle de "jeux sociaux".

Le secteur du jeu vidéo traditionnel tourne son attention vers ces jeux depuis maintenant quelques mois; c'est à la fois une prise de conscience très récente, très rapide, et violente. De la surprise indignée que de tels jeux aux mécanismes si simples existent et remportent un (conséquent) succès, on arrive à une ouverture où les gens commencent à différencier jeux viraux et jeux sociaux, et à envisager des possibilités intéressantes dans les deux cas. C'est cette vision que j'essaie de porter.



Illustration du portrait d'Ebe Zolli sur Creajol



Creajol : Est ce qu'il s'agit d'une passion ?

Je joue depuis toute petite, tellement que je ne suis pas sûre qu'à l'époque où je tenais une manette, j'ai été en âge de parler... J'ai par exemple reconnu Duck Hunt ou Shufflepuck Cafe et appris leurs noms réels très tardivement, alors que les images de ces jeux sont très claires dans ma mémoire. Et bien d'autres restent encore des énigmes pour moi.

Au delà de cette culture du jeu vidéo, mon métier est effectivement, indéniablement, une passion. Une passion peut vous conduire très loin, dans des abysses de souffrance comme sur des sommets de joie. Il faut faire très attention, avec les métiers passionnels. Il faut réussir à rester raisonnable, ne pas tout sacrifier pour son boulot, parce qu'il y a vraiment des moments où la vie peut vous le faire regretter.

Quand au contraire on prends les bonnes précautions : quand on prends le temps de se reposer; quand on s'accorde le temps et les efforts de formation nécessaires pour trouver un job correct avec des gens honnêtes et capables, où on sera traité à sa juste valeur; quand on se donne les moyens de travailler sur ce qu'on aime, alors c'est le paradis sur terre et on se lève tous les jours avec bonheur !



Creajol : Professionnellement, quel est ton plus grand souhait ?

Je veux rester dans l'entreprise qui m'emploie actuellement. Basiquement, j'ai des instincts de fidélité : je ne cherche pas une entreprise pour la quitter plus tard. Je me sens bien quand je suis dans un cadre familier, ouvert à la création, et je me vois parfaitement rester vingt ans ou plus dans la même structure. Si cette structure est constituée de gens honnêtes et responsables qui aiment leur travail.

Je pense avoir enfin trouvé cette structure, et je veux y rester. Partant de là, j'ai une foule de projets à réaliser dans le cadre de mon travail et j'y investis toute mon énergie (objectivement, si on se réfère à mon précédent paragraphe, ne suivez pas mon exemple car je ne décroche pas souvent du boulot). Ce qui tombe bien, c'est qu'en plus d'être dans une boite où je me sens bien, j'y pratique un travail pour lequel j'ai carrément l'impression d'avoir été faite ! :)



Illustration du portrait d'Ebe Zolli sur Creajol



Creajol : Que dirais-tu aux gens qui rêvent de travailler dans le milieu ?

Take care.

Formez-vous avec attention : choisissez une formation principale de bonne qualité, hors du JV. Le secteur du JV est difficile et c'est une bonne chose d'avoir des métiers alternatifs disponibles au cas où on serait forcés d'en sortir, même temporairement. En plus ça vous apportera un profil unique et une ouverture d'esprit absolument indispensable dans votre métier. Dans ce domaine, on a besoin de gens polyvalents.

Si par la suite vous pensez qu'il peut être bon pour vous d'aller dans une école de JV... Faites attention une seconde fois. L'enseignement de cette discipline est encore jeune, et pour la propre survie des écoles de JV on vous dira que cette formation et que votre promotion sera la meilleure. Tout simplement parce que des élèves convaincus de leur excellence rapporteront à leur tour d'autres élèves pour les années suivantes.

Peut-être que certaines formations dispensées sont très bonnes. Mais renseignez-vous avant d'y souscrire, soyez prudents. Et de toute façon, ne négligez pas les projets personnels, l'apprentissage à la dure, en autodidacte. Lancez-vous dans la création amateur : c'est une discipline exigeante mais ça vous servira beaucoup pour la suite, ça vous rendra débrouillards et persévérants et vous en aurez besoin.

De toute façon, quand vous irez frapper aux portes des studios pour un stage ou une embauche, on vous demandera très certainement ce que vous avez de concret à montrer. On vous demandera quelles ont été vos expériences, comment vous vous en êtes sortis. Même une expérience inachevée, si vous savez en tirer de bonnes leçons, peut vous apporter un boulot. Tout le monde sait que c'est difficile de créer un jeu en amateur.

Et surtout, surtout, ne vous faites pas avoir. Essayez de savoir commence ça se passe là où vous allez : contactez les salariés et demandez-leur s'ils s'y sentent bien, consultez interviews et sites qui mentionnent l'entreprise où vous postulez et lisez entre les lignes, soyez attentif lors des entretiens pour voir comment on vous traite. Refusez les jobs louches, opaques, mal définis, pas sérieux, sous-payés, ou qui vous proposent des formes de contrat bizarres et instables : le jeu n'en vaut certainement pas la chandelle.



Illustration du portrait d'Ebe Zolli sur Creajol


Creajol : Que transmets-tu lorsque tu crées ?

J'essaie de créer des situations où les gens, en s'amusant, pourront apprendre des choses sur eux-mêmes et sur leurs compagnons. Par exemple, sur certains modèles de jeux je laisse la possibilité aux gens de s'essayer à certains rôles : de leader, d'artiste, de journaliste, de mercenaire... Et je donne aux autres le pouvoir de les encourager. Je pense qu'un joueur qui se verra plébiscité dans ses efforts pour tel rôle pourra prendre conscience, si c'est une découverte pour lui, de ses talents dans ce domaine et éventuellement en faire quelque chose pour lui, dans sa propre vie, par la suite. Le jeu vidéo m'a personnellement beaucoup appris. :)



Creajol : Comment es tu entré dans l'industrie du jeu vidéo ?

En exploitant l'orientation que j'ai acquise dans mon cursus d'Arts Appliqués sur des projets personnels et en autodidacte. J'ai développé un profil polyvalent : je suis capable de designer, d'habiller et de communiquer seule sur un petit projet de webgame. En revanche, je n'ai jamais appris à coder, j'ai donc toujours dû travailler en équipe.

Ce n'est vraiment pas simple, je pense même que c'est beaucoup plus dur que dans un cadre professionnel : on travaille à distance, sur le temps des loisirs, avec des gens aussi peu expérimentés que soi; mais c'est vraiment formateur. J'aurais pu apprendre à coder, au lieu de confier ce soin à d'autres, mais j'ai préféré passer plus de temps sur les autres disciplines - les graphistes notamment sont rares dans le milieu amateur.

J'ai aussi été bénévole dans différents cadres liés au jeux vidéo, j'y ai rencontré des professionnels qui m'ont encouragée (et Creajol est finalement un peu issu de leur bienveillance), et un jour, quand je me suis sentie un peu plus prête, j'ai postulé dans deux entreprises. J'ai eu deux entretiens, l'un débouchant sur un refus, et l'autre sur mon premier job. :)



Illustration du portrait d'Ebe Zolli sur Creajol



Creajol : Ton moment préféré dans la production d'un jeu ?

Je crois que j'aime tous les moments de la production d'un jeu ! <3

J'aime barrer d'un trait vif les tâches effectuées sur la to-do list de mon bloc note;

J'aime apporter des paquets de bonbons ou de gâteaux à l'équipe, et les voir disparaître en un clin d'oeil;

J'aime particulièrement quand je reçois les premières critiques de l'équipe sur mon travail (quel qu'il soit : j'ai été amenée à faire de l'exécution comme de la conception; du graphisme, des décors, de l'équilibrage, de l'ergonomie, du scénario, du gameplay, de la communication...). D'une façon un peu masochiste je pense que mes préférées sont les critiques "un peu négatives mais justes" : intérieurement ça me fait grogner, mais retoucher mon travail dans ce genre de cas donne toujours de meilleurs résultats.

Mais le plus fort je crois, c'est quand je vois ce que les joueurs disent ou font avec le produit qu'on leur offre. Les critiques qu'on attend avec un petit noeud dans le ventre; les fan-arts et fan-sites qui fleurissent à partir du travail réalisé; et parfois même les remerciements... Quand les joueurs sont contents, c'est toujours vraiment quelque chose de sensationnel. Une apothéose !


Illustration du portrait d'Ebe Zolli sur Creajol

Source : http://www.linkedin.com/pub/ebene-zolli/8/ba0/919

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